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Femmes violentées : Un rapport tout feu, tout flamme

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Dans son étude intitulée «Les violences contre les femmes à l’aune de la loi et du contexte pandémique» Oxfam Maroc, en partenariat avec Economia et la Chaire Fatéma Mernissi, a montré que le nouveau dispositif induit par la loi 103.13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes, entrée en vigueur en 2019, constituait «un pas important», mais que ses nombreuses lacunes entravent cette lutte et «la rendent moins efficace».

Cette évaluation qualitative analyse la réglementation, les vécus et les représentations du texte dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, sur la base de l’expérience des acteurs concernés, à savoir la société civile, les juges, les avocats et les femmes victimes des violences. Elle note par ailleurs qu’il est peut-être tôt pour évaluer l’impact de ces dispositions sur le temps long, mais que plusieurs éléments permettent déjà d’identifier les freins.
Autant de failles constatées «au niveau du cadre conceptuel, du contenu du texte de la loi, de ses modalités d’application ainsi qu’au niveau de la communication autour de cette loi», signale l’étude. Sur le premier point, la principale critique porte sur «l’absence de l’approche législative globale recommandée par les Nations unies et exigée par les associations féministes». Pour cause, la loi se focalise sur l’aspect répressif et relègue au second plan les trois autres piliers de la lutte efficace que sont la prévention, la promotion et la prise en charge des victimes.
Plus, «l’absence de modalités claires d’application de la loi et de définitions précises ouvrent la voie à de multiples interprétations et incertitudes chez les agents concernés» par la mise en œuvre. Et de relever une quasi-absence de communication autour de la loi, ce qui a comme conséquence que les principales concernées ne connaissent pas ces dispositions.
La loi 103.13 est entrée en vigueur un an avant la crise sanitaire. Ce nouveau contexte qui a poussé plusieurs Etats à mettre en place des mesures de confinement pendant des mois a exacerbé les violences contre les femmes avec une forte hausse de différentes formes, domestiques, économiques, numériques et psychologiques. Au Maroc, ce nouveau contexte a montré beaucoup de lacunes en termes de protection et de prise en charge.

Parmi les résultats positifs, l’étude a montré notamment l’importance de se doter d’une loi pour la lutte contre les violences faites aux femmes. «On a incriminé plusieurs faits qui ne l’étaient pas comme la contrainte au mariage, ou encore le fait d’expulser l’un des conjoints du domicile conjugal, le harcèlement sexuel, les insultes contre la femme. Sans oublier l’aggravation des peines», a témoigné un juge cité dans le document. La violence psychologique est ainsi reconnue par la loi, en plus de l’institutionnalisation du travail des cellules contre la violence en permettant d’uniformiser leur fonctionnement à travers les régions.
Mais l’étude note un «satisfecit mitigé», qui «masque à peine les frustrations par rapport au texte de loi». En effet, cela «ouvre des pistes de travail qu’on doit explorer davantage» et «elle a à peine répondu au seuil minimum des attentes de la société civile», selon une militante citée, pour qui «il faut maintenant réaliser les acquis pour capitaliser sur ce qui a été fait».
Les focus group réalisés dans le cadre de l’étude montrent aussi que la lutte contre la violence faite aux femmes «doit être pensée dans un cadre global en lien avec l’égalité de genre». Des témoignages relèvent que «la question de la violence ne peut pas être également exclue ou juste mise de côté par rapport à d’autres questions qui relèvent de la problématique du genre, c’est-à-dire que nous avons besoin aussi d’une vision politique globale qui pourrait intégrer un certain nombre d’aspects relatifs au genre et qui ne relèvent pas forcément de la question de violence, sachant que la violence demeure une chose très grave et fondamentale, bien sûr.»
Cette problématique amène à réfléchir sur le cadre référentiel de la loi. Face à celui des droits humains en harmonie avec la Constitution de 2011, celui du Code pénal n’est «pas encore mis à niveau en termes de doctrine libérale». Par conséquent, «le fossé est grand et le législateur ne tranche pas toujours du côté le plus ‘moderne’», note l’étude. Cette situation fait que la loi 103-13 «n’appréhende pas la violence contre les femmes en tant que forme de violation des droits humains» et qu’elle ne «s’est pas inspirée de la constitution et n’est pas ancrée dans une philosophie de lutte contre toutes les formes de discrimination et de lutte contre la violence comme droit humain», signalent des acteurs de la société civile.
Autre point sujet à critiques, la loi «se focalise plutôt sur les violences corporelles», bien qu’elle reconnaisse timidement les autres formes. Les acteurs concernés rappellent d’ailleurs que «le volet du viol conjugal a été retiré des moutures précédentes de la loi». Le ministère de la Solidarité, du développement social, de l’égalité et de la famille défend que cet aspect ne soit pas évoqué car il serait considéré comme faisant partie intégrante de la violence physique. «Il est aussi incriminé par le code pénal dans le cadre des textes qui incriminent le viol», a noté le département.

Les violences économiques ne sont pas en reste. Dans le contexte de la pandémie, les failles de la loi 103.13 à ce niveau se sont révélées plus que jamais, d’autant qu’il n’existe pas de système global de lutte contre cette forme de violence pourtant répandue sous des formes plus «normalisée», à travers les failles d’application du salaire minimum prévu dans le Code du travail.
La période de la crise sanitaire a interrogé cette loi sur d’autres plans, notamment en termes de lutte contre les violences numériques visant les femmes et les enfants. Ainsi, «plus de 50% des utilisatrices ont été victimes de cyberviolences au moins une fois dans leur vie».
En 2020, l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC) a sorti une étude, selon laquelle 800 actes de violences numériques ont été traités. «214 concernent le harcèlement, 59 des menaces, 49 de la diffamation, 48 le fait de répandre des mensonges qui nuisent à la réputation, 45 le fait d’envoyer des messages à caractère sexuel, 38 des cas de chantage sexuel et 36 l’envoi de photos à caractère sexuel, entre autres».
Dans ses recommandations, l’étude a appelé à «saisir l’opportunité d’ouverture du ‘chantier du Code pénal’ pour avoir une loi minutieuse et limiter les marges de manœuvre pour les agents d’application de la loi avec l’obligation d’alerter/ouvrir des enquêtes en cas de plaintes pour violence, et prévoir des moyens pour la formation continue du personnel qui veille à l’application de la loi». Aussi, elle a montré l’importance de se baser sur les expériences des femmes victimes. Cette démarche nécessiterait une réforme de la loi 103.13 «en concertation avec les concernées, les différentes catégories de femmes, en écoutant leurs doléances et leurs points de vue, et également avec les différents intervenants institutionnels déjà mentionnés dans la loi, en incluant les associations de la société civile qui constituent l’acteur le plus proche des femmes victimes».
Cette loi dépasserait ses propres freins avec un «renforcement de l’environnement juridique favorable à l’égalité Hommes/Femmes, principalement en enclenchant une dynamique de réforme du Code la famille, surtout en lien avec la notion de la tutelle masculine qui sert encore de prétexte aux inégalités et aux abus», a encore relevé l’étude. Il restera également important d’élargir le rôle des cellules à la prévention et à l’accompagnement, «au lieu de les restreindre au rôle administratif de lieu de dépôt de plaintes».

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