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Essais nucléaires français : Transparence pour la Polynésie et opacité ailleurs…

Emmanuel Macron s’est engagé auprès des militants de « l’association antinucléaire 193 », à la transparence sur les essais nucléaires et assurant qu’il les avait « entendus », lors de sa visite en Polynésie française mardi 27 juillet. Mais cet élan de transparence du chef de l’État français reste limité. Les essais nucléaires dans le « Sahara algérien », dénoncé à l’époque par Mohammed V, Roi du Maroc, ne bénéficient pas d’autant d’attention de la part de l’Élysée et de ses hôtes successifs.

« Je ne peux pas vous demander d’avoir confiance en moi après qu’on vous [eut] menti si longtemps en ne partageant pas les informations, c’est vrai, et donc je pense que la confiance, ça se construit en disant tout, en partageant la totalité, en étant beaucoup plus transparent et c’est vrai qu’on n’a pas fait le boulot jusqu’à présent », a-t-il déclaré devant une cinquantaine de manifestants sur l’île de Moorea, parmi lesquels flottaient des drapeaux indépendantistes.
« Vous m’excuserez, mais on ne peut pas s’empêcher de penser que vous êtes en fin de mandat, donc des paroles c’est une chose, mais après, concrètement ? Il y a des demandes urgentes, des personnes qui souffrent. On vous demande d’assumer ce que l’État a fait à ce peuple polynésien, un pardon et vraiment une prise en charge », a rétorqué Léna Lenormand, vice-présidente de l’ « Association 193 »,soit le nombre d’essais nucléaires réalisés en Polynésie par l’armée française.
« Je sais que, pendant très longtemps, il y a eu du silence et un refus de partage même d’information, d’assumer les choses, d’être transparents. (…) Je m’exprimerai ce soir, mais je vous ai entendus, et j’ai entendu ce que vous me demandiez, et vous verrez ma réponse », lui a répondu le chef de l’État.« Je m’engage à ce que les choses changent en termes de procédures d’indemnisation parce que c’est vrai que la loi de 2010 aujourd’hui laisse des gens dans la détresse, avec des procédures qui sont trop longues », a poursuivi M. Macron.
En revanche, la solidarité nationale et la responsabilité de l’État, « ce n’est pas la même chose », a-t-il affirmé. Pour le président, « il est normal, et c’est un devoir de la nation, d’accompagner toutes les Polynésiennes et les Polynésiens qui aujourd’hui sont frappés par les nouvelles formes de cancer. Et il faut qu’il y ait une offre de soins, des médecins et des chercheurs, compte tenu de la double insularité dans laquelle vous êtes ».
Le Maghreb ostracisé
Plus de 60 ans après le premier essai nucléaire français en Algérie, que ce soit sous occupation où bien après, comme le laissent entendre plusieurs rapports confidentiels, l’identification et la décontamination des sites d’enfouissement des matériaux radioactifs constituent l’un des principaux contentieux mémoriels entre Alger et Paris. Si le chef de l’État français a reconnu, depuis Papeete, « une dette » de la France pour les essais atomiques réalisés en Polynésie de 1966 à 1996, il n’en est rien pour l’Algérie. Et le reste du Maghreb, les nuages radioactifs induits par les essais français se jouant des frontières tracées par Paris.
L’ex-ministre algérien des Anciens combattants, TayebZitouni, a récemment accusé la France de « refuser de remettre les cartes topographiques qui permettent de déterminer les lieux d’enfouissement des déchets polluants, radioactifs ou chimiques non découverts à ce jour ». Et de déplorer le fait que « la partie française n’a mené techniquement aucune initiative en vue de dépolluer les sites, et la France n’a fait aucun acte humanitaire en vue de dédommager les victimes ».
Depuis Paris, le ministère des Armées assure que « la France a communiqué aux autorités algériennes les cartes dont elle dispose ». La remise des cartes est « un droit que l’État algérien revendique fortement, sans oublier la question de l’indemnisation des victimes algériennes des essais », a récemment écrit le général Bouzid Boufrioua, dans revue du ministère de la Défense, El Djeïch.
Entre 1960 et 1966, la France a procédé à 17 essais nucléaires sur les sites de Reggane, puis d’In Ekker, à vol d’oiseau assez proche du Maroc.Onze d’entre eux, tous souterrains, sont postérieurs aux accords d’Evian de 1962, qui actaient l’indépendance de l’Algérie mais dont un article permettait à la France d’utiliser jusqu’en 1967 les sites du Sahara.
Des documents déclassifiés en 2013 révèleront des retombées radioactives importantes qui s’étendaient de l’Afrique de l’Ouest au sud de l’Europe.
Un groupe de travail franco-algérien, composé d’experts, a été créé en 2008 afin d’étudier la question de la réhabilitation des anciens sites au Sahara.
Dans son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie (1954-62), l’historien Benjamin Stora préconise « la poursuite du travail conjoint concernant les lieux des essais nucléaires en Algérie et leurs conséquences ainsi que la pose de mines aux frontières ».
En janvier 2010, la France s’est dotée d’une loi –la loi Morin– qui prévoit une procédure d’indemnisation pour « les personnes atteintes de maladies résultant d’une exposition aux rayonnements des essais nucléaires réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie entre 1960 et 1998 ».
Mais sur cinquante Algériens ayant réussi à monter un dossier en dix ans, une seule personne « a pu obtenir réparation ». Aucun habitant de la région n’a été indemnisé.
Dans une étude sortie il y a un an, intitulée « Sous le sable, la radioactivité! », l’ICAN France exhorte l’ancienne puissance coloniale à remettre aux autorités algériennes la liste complète des lieux d’enfouissement et à faciliter le nettoyage des sites.
Une opportunité s’est présentée lorsque 122 États de l’ONU ont ratifié, le 7 juillet 2017, un nouveau Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN).
Le principe du « pollueur-payeur » y a été introduit et reconnu officiellement.Mais la France n’est pas signataire du TIAN, « incompatible avec l’approche réaliste et progressive du désarmement nucléaire », selon elle.

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