Le fait que ces documents circulent en ligne fait porter « un risque très grave à la sécurité nationale et peut potentiellement alimenter la désinformation », a indiqué à la presse Chris Meagher, porte-parole du ministère américain de la Défense. « Nous continuons d’enquêter sur la façon dont cela est arrivé, ainsi que sur l’ampleur du problème. Des mesures ont été prises pour analyser plus avant la manière dont ce type d’information a été distribuée et à qui », a-t-il ajouté.
Un flot régulier de photographies de documents classifiés a été découvert sur Twitter, Telegram, Discord et d’autres sites ces derniers jours, bien que certains aient pu circuler en ligne pendant des semaines avant d’attirer l’attention médiatique.
Le porte-parole du Pentagone n’a pas voulu se prononcer sur leur authenticité, assurant qu’une équipe du ministère travaillait à déterminer s’ils l’étaient ou non, mais a noté que les photos diffusées semblaient contenir des informations sensibles. « Des photos semblent montrer des documents au format semblable à celui qui est utilisé pour fournir des mises à jour quotidiennes à nos hauts responsables des opérations liées à l’Ukraine et la Russie, ainsi que d’autres mises à jour de renseignement », a-t-il dit, mais certaines « semblent avoir été modifiées ».
Les enquêteurs envisageraient ainsi que cette fuite puisse être l’acte d’un employé mécontent ou, plus grave, une menace interne qui chercherait à nuire aux intérêts de sécurité nationale des États-Unis. En attendant que l’enquête avance, le Pentagone a restreint la circulation des informations classifiées.
Certains qualifient ces fuites de « cauchemar pour les Five Eyes », cette alliance entre Américains, Britanniques, Canadiens, Néo-Zélandais et Australiens en matière de renseignement. L’Australie, qui s’est encore un peu plus rapproché de Washington ces derniers mois à travers le pacte Aukus, se dit particulièrement inquiète.
Dimanche 9 avril, de nouvelles informations ultra-sensibles qui se sont retrouvés en ligne sur des réseaux sociaux ou des forums de jeux vidéo ont été relayées par la presse. Sur la guerre en Ukraine d’abord, ils montrent l’étendue et la précision des renseignements qui sont collectés aux États-Unis, indique le New York Times. Les services US seraient ainsi capables d’être informés à l’avance sur les cibles des bombardements russes. Des renseignements particulièrement précieux pour l’Ukraine, mais ces documents montrent également, selon le quotidien, que les Américains espionnent l’état-major et les dirigeants ukrainiens.
D’autres informations qui figurent dans les documents ne concernent l’Ukraine qu’indirectement : il s’agit par exemple des tentatives imputées au groupe Wagner d’acheter des armes à la Turquie par l’intermédiaire du Mali.
La chaîne de télévision américaine CNN a signalé lundi avoir eu accès à une source proche du président Volodymyr Zelensky qui lui a assuré que l’armée ukrainienne serait en train de réviser sa stratégie en vue de la contre-attaque du printemps. Officiellement, la position de l’exécutif ukrainien consiste à nier toute crédibilité à ces informations, qualifiée de désinformation classique du Kremlin, en mélangeant dans cette fuite tout un tas de données militaires.
Les fuites se rapportent aussi aux débats au sein du gouvernement sud-coréen concernant la livraison de munitions à l’Ukraine. Les deux documents du Pentagone concernés exposent l’inquiétude des officiels sud-coréens qui craignent l’Ukraine ne soit en réalité le destinataire final des livraisons d’artillerie aux États-Unis. Cela serait en rupture avec la position de Séoul qui refuse de fournir des armes létales à des pays en guerre, malgré l’insistance de son principal allié militaire. Les documents montrent également que la Corée du Sud envisageait de livrer 330 000 obus d’artillerie à la Pologne afin de répondre aux demandes d’aide US.
Ces révélations sont issues en partie d’échanges entre deux membres du bureau présidentiel sud-coréen : le conseiller à la sécurité nationale et le secrétaire à la présidence pour les Affaires étrangères. Ce qui confine à dire que les services US auraient réalisé des écoutes téléphoniques ou intercepté des messages électroniques au plus haut niveau de l’exécutif sud-coréen. « Une violation claire de notre souveraineté de la part des États-Unis », a dénoncé lundi 10 avril un groupe de parlementaires de l’opposition. Du côté de l’exécutif, on se contente d’assurer que l’on discutera des « questions soulevées » par cette fuite avec les partenaires américains. Une situation embarrassante pour les deux pays alors que le président Yoon Suk-yeol est attendu le 26 avril prochain aux États-Unis pour une visite d’État.
Enfin, il y a des informations qui n’ont rien à voir avec l’Ukraine, notamment sur la situation en Israël. Selon ces documents, la CIA aurait ainsi recueilli des éléments contenant des preuves que des dirigeants du Mossad avaient encouragé leurs employés et la population à protester contre la réforme du système judiciaire promue par le gouvernement israélien. « Un pur mensonge », affirme-t-on au Mossad. Dans un communiqué, le service israélien réagit au document classifié du Pentagone partagé en ligne, en assurant que « le Mossad et ses responsables n’ont pas du tout abordé la question des manifestations et sont restés fidèles à la valeur de l’État qui les a toujours guidés ».
La diffusion sur internet de ces informations ultra-sensibles aura des conséquences sans doute majeures. Si les États-Unis ont pu laisser fuiter ces informations, leurs alliés hésiteront davantage à leur confier leurs renseignements. Les sources que les services américains utilisent, notamment en Russie, pourraient également être menacées. Les fuites montrent jusqu’où les services américains ont pu pénétrer au sein de l’armée russe et des services de renseignements militaires, rappelle le Wasghington Post. Ce qui pourrait aider la Russie à les identifier et à les neutraliser.
Le Washington Post, comme le New York Times, affirment cependant que plusieurs responsables américains haut placés ont authentifié au moins une partie des documents.