C’est une mauvaise nouvelle pour R.T. Erdogan, mais une bonne nouvelle pour son principal rival, Kemal Kiliçdaroglu, qui a pris la tête d’une large alliance de partis d’opposition. M. Ince est un dissident de cette alliance et ses supporters sont susceptibles de se reporter vers le rival attitré du Président sortant.
En annonçant qu’il se retirait de la course, M. Ince n’a toutefois pas appelé à voter pour K. Kiliçdaroglu. Il a cité des campagnes de dénigrement contre lui, des montages vidéo l’accusant à tort d’adultère. Et non seulement il ne donne pas de consigne de vote, mais il explique qu’avec son retrait, quand l’opposition aura perdu l’élection, elle ne pourra pas se servir de lui comme d’un prétexte.
Reste à savoir dans quelle mesure les partisans de M. Ince vont reporter dès dimanche leur vote vers K. Kiliçdaroglu. Un sondage de l’institut Konda, l’un des plus réputés, le créditait de 49,3% des voix, contre 43,7% pour R.T. Erdogan. M. Ince, lui, recevait 2,2% des voix. Un dernier candidat, l’ultranationaliste Sinan Ogan, était quant à lui crédité d’un peu moins de 5%.
Les épreuves électorales qui font vibrer la Turquie se déroulent dans un pays ravagé non seulement par le séisme meurtrier, mais aussi et surtout par l’inflation galopante estimée à au moins 50%, selon les autorités. En réalité, elle est bien au-dessus, selon bien des économistes. Et le surendettement de la population est massif : les crédits impayés dépassent les 30 milliards de livres turques, soit environ 1,5 milliard de dollars.
Cette situation pourrait influer sur le vote. Le président sortant reste largement soutenu tout de même par des électeurs plus discrets. S’ils trouvent à redire sur sa politique, ils assurent qu’ils continueront à le soutenir. Les candidats jettent donc toutes leurs forces dans la bataille avec deux, voire trois meetings par jour pour chacun. Mais il y a une différence importante entre les deux candidats. R.T. Erdogan, même si son parti, l’AKP, a fait alliance avec quatre partis d’extrême droite ou islamistes, est en général seul en scène. Et c’est lui que les foules viennent voir. K. Kiliçdaroglu, lui, représente six partis très divers et il fait campagne aux côtés des dirigeants de ces partis, mais aussi des très populaires maires d’Istanbul et d’Ankara.
Parfois, ils sont deux ou trois à la tribune, parfois tous réunis, ou alors chacun tient meeting dans une ville différente en même temps, ce qui permet à l’opposition de décupler ses forces. Et cela représente bien ce pour quoi les Turcs vont voter : soit le gouvernement d’un seul homme, soit un gouvernement de consensus et de coalition.
Les deux principaux candidats semblent anticiper un résultat serré et s’emploient donc à convaincre les indécis. K. Kiliçdaroglu espère gagner des voix chez les électeurs déçus de R.T. Erdogan – ceux qui lui en veulent pour la chute de leur pouvoir d’achat ou pour son exercice autoritaire du pouvoir. Quant au Président sortant, il a promis de faire amende honorable auprès de ceux dont il aurait pu « briser le cœur », leur demandant de continuer à le soutenir. Dans les deux camps, c’est assez clair : on cherche à séduire les jeunes, qui sont nombreux parmi les indécis. Notamment ceux qui votent pour la première fois, c’est-à-dire environ 8% de l’électorat. K. Kiliçdaroglu leur promet de ramener la démocratie et la prospérité alors que R.T. Erdogan leur fait aussi miroiter des promesses d’aides économiques et essaye d’attirer les plus nationalistes d’entre eux en vantant les avancées technologiques de la Turquie sous sa présidence, notamment dans le domaine de l’industrie de défense.
Cette fin de campagne se déroule toutefois dans un contexte extrêmement tendu, voire violent. Il y a les attaques verbales, particulièrement dures, du pouvoir contre K. Kiliçaroglu, constamment associé au terrorisme. Et on ne compte plus les attaques physiques contre les permanences de campagne, surtout celles de l’opposition. Le week-end dernier, Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul, a été visé par des jets de pierre lors d’un meeting dans l’est de la Turquie. Dix-sept personnes ont été blessées. Ce climat de violences alimente des inquiétudes pour le jour du vote, la soirée électorale et les jours suivants, en particulier si le score est serré ou si R.T. Erdogan est battu. K. Kiliçdaroglu a appelé ses partisans à rester chez eux dimanche soir, même en cas de victoire. Il a évoqué des risques de « provocation » et la présence possible d’« éléments armés dans les rues ».