Selon l’article 7 de la charte de l’Onu, aucun État ne doit agresser ou envahir un autre État sans l’approbation du Conseil de Sécurité. Il semblerait que le président Poutine se soit préparé et déterminé à mettre en œuvre un plan de l’invasion de l’Ukraine depuis 2008. Ce dernier considère que l’Ukraine, fait partie de l’empire russe depuis le moyen-âge et que Lénine l’a créée en tant que république populaire satellite et rattachée aux Soviets en tant que république populaire indépendante par décision autoritaire.
L’État-major russe actuel considère ce pays comme le berceau de la Russie antique historique. Elle est le prolongement humain, culturel, religieux, économique et ethnique de la Russie. L’opération militaire spéciale en Ukraine, comme elle est désignée par les Russes, est l’aboutissement de la décomposition de l’empire soviétique à la chute du mur de Berlin en 1989. L’éclatement de l’URSS en plusieurs républiques et l’extension de l’OTAN à ces anciennes républiques populaires, ont modifié la donne et la configuration géopolitique de la région.
Cette situation est considérée par les Russes comme une menace à leur sécurité nationale et comme une provocation directe de l’OTAN envers la Russie. En effet, la Russie a refusé catégoriquement l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance Atlantique Nord (OTAN) et son adhésion à l’Union Européenne (UE). La Russie voit d’un mauvais œil le déploiement de troupes étrangères dans les pays baltes, la Roumanie, la Pologne et la Tchécoslovaquie. La tension a commencé par des accusations russes contre le pouvoir pro-occidental de Kiev mis en place à la suite de ladite révolution orange de Meyden (Place, en arabe). La Russie va alors s’allier avec les populations russophones du Dombass et du Sud de l’Ukraine, en Crimée.
Les objectifs déclarés des Russes
Depuis 2014, ces objectifs sont de trois ordres.
1- La démilitarisation de l’Ukraine
2- Dénazifier le système politique ukrainien, soupçonné de génocide à l’égard des russophones
3- La reconnaissance définitive de la Crimée et du port de Sébastopol comme territoire russe
La démarche diplomatique des Russes consiste à démilitariser l’Ukraine pays classé 22e du point de vue de l’industrie d’armement, à placer un système politique à Kiev refusant toute adhésion à l’Otan et à l’Union européenne et reconnaissant la Crimée comme territoire russe.
Il semblerait que le président russe ait échoué dans toutes ses initiatives politiques et diplomatiques avant la récupération de la Crimée par la force en vue de conserver l’Ukraine comme chasse gardée et pays neutre ou pays tampon entre la Russie et l’Europe (signification du mot Ukraine : pays tampon ou frontière). Pendant que l’OTAN ne prêtait pas attention aux préparatifs de la Russie après sa désarticulation pendant le règne de Gorbatchev et de son successeur Boris Eltsine, le président Poutine va reprendre la doctrine d’antan pour récupérer les territoires perdus, en s’appuyant sur une stratégie d’hibernation et de dissimulation à l’égard de l’Occident, et, en s’attaquant à la Crimée et à son port de mer chaude Sébastopol en 2014. L’organisation d’un référendum dans cette partie de l’Ukraine dont la population est russophone et musulmane (les Tatars) va donner la victoire au projet de Poutine qui va ainsi réintégrer cette ancienne partie du territoire de l’empire russe à la Fédération de Russie. Cette occupation, considérée par la communauté internationale comme illégale et ne respectant pas le droit international, va déboucher sur des sanctions économiques sans valeur ajoutée. Le président russe, profitant de cet état de fait, se lance dans la construction d’un complexe militaro-industriel important et dans la mise en valeur des terres agricoles qui vont lui assurer la sécurité alimentaire surtout pour les céréales et la production maraîchère, sans oublier un butin de 600 milliards de dollars lui permettant de moderniser son armée et de mener des guerres contre ses adversaires.
Par ailleurs, dans le secteur pétrolier et gazier, il a réussi à soumettre l’Europe à une mainmise énergétique sans précédent. 60 % du gaz allemand et balte provient de la Russie. Au niveau bancaire, la Russie a développé un système financier indépendant à l’égard du système international occidental rattaché à la Chine. Au niveau médiatique, elle a réussi à développer des réseaux de communication indépendants et sous la surveillance du gendarme de l’audio-visuel russe. En effet, les médias Spoutnik et RT (Russia-to-day) diffusent les idées et les projets de la vision de l’oligarchie russe visant à la fois l’opinion interne et l’opinion européenne et américaine.
Le plan militaire de la guerre
En décidant d’envahir l’Ukraine, au mois de février, le président russe avait conçu trois plans militaires, en s’appuyant sur les renseignements fournis par le GRU (service de renseignement militaire).
Le premier scénario consistait en frappes très fortes et l’invasion rapide de la capitale Kiev, selon l’adage que les pays tombent à partir de leur capitale. Mais ce scénario n’a pas encore atteint ses objectifs et les parachutistes russes ont subi des pertes considérables grâce au groupe d’auto-défense constitué depuis quelques mois. Ce plan A, viserait la chute du système, la capture du président et le remplacement du système politique pro-occidental par une oligarchie proche des Russes, la démilitarisation de l’Ukraine et son adhésion à l’alliance de l’Organisation du Traité de sécurité collective eurasien (OTSC) qui regroupe la Russie, l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Cette opération devrait être brève, bien coordonnée, en utilisant des troupes spéciales de parachutistes, une brigade de Tchétchènes et une brigade de la milice Wagner vêtue de tenues militaires ukrainiennes. Cette opération allait atteindre son but en 48 heures cependant l’armée ukrainienne a réussi à les repousser du centre vers les faubourgs de Kiev. Les soldats russes ont pu atteindre la banlieue de Kiev grâce à la neutralisation de la quasi-totalité de l’armement aérien et de la défense anti-aérienne sans compter les bases, les centrales électriques, les aérodromes et les casernes de la capitale. 74 objectifs ont été anéantis dès le premier jour de l’invasion. À travers cette attaque éclair, les Russes utilisaient un bataillon du groupe Wagner baptisé les « saboteurs ou infiltrés », afin de neutraliser le président ukrainien et son gouvernement et installer un gouvernement provisoire pro-russe quitte à initier un putsch militaire. Rappelons que la milice Wagner était présente sur le sol ukrainien, depuis 2014, avant l’attaque russe.
Les composantes de l’armée ukrainienne
Soulignons que les groupes de défense ukrainiens sont composés de trois corps essentiels, l’armée régulière, 250000 hommes, bien formés et dotés d’armement sophistiqué fournit par l’occident. La deuxième composante est la garde nationale et l’armée de réservistes qui comprend 200000 hommes, on l’appelle aussi l’armée territoriale. La troisième composante, sont les groupes d’auto-défense, composés de volontaires civils à qui on a fourni 20000 armes légères.
Wagner et l’Ukraine
Wagner est ce que les experts appellent une « entreprise de services de sécurité et de défense (ESSD) ». Il s’agit d’une milice militaire privée qui exécute des missions classiques de formation, de renseignement, de soutien médical et de sécurité mais son plan opérationnel s’étend aussi à des opérations militaires offensives. Selon un rapport de l’IFRI (Institut français des relations internationales), Wagner aurait été créée en 2014 lors du conflit de Crimée et du Donbass. Elle compte aujourd’hui près de 5000 membres dont la majorité sont des anciens réservistes de la force spéciale russe. Elle est dirigée par un oligarque et entretient des liens étroits avec le Kremlin et l’état-major de l’armée russe.
La « mission sale » allouée à Wagner dans la guerre contre l’Ukraine en compagnie d’un bataillon tchétchène aurait échoué grâce au renseignement de l’OTAN et à l’application du système de couvre-feu qui en est la résultante. Les « infiltrés », comme les appellent les Ukrainiens, ont vêtu des uniformes ukrainiens et sont arrivés jusqu’au palais présidentiel et à la place Meyden mais ils se sont repliés à cause de leur encerclement par les groupes d’auto-défense ukrainiens. On peut dire que la phase 1 du plan A du président Poutine a piétiné malgré la suprématie aérienne et terrestre.
Après trois jours de combats, le président Poutine aurait ordonné l’application du plan B qui consiste en l’élargissement des opérations et l’encerclement des grandes villes en ciblant les infrastructures civiles et militaires. L’objectif principal de cette phase est l’encerclement des grandes villes, notamment la capitale historique de l’Ukraine Khirkiv et les villes côtières au Sud en bloquant toutes les issues maritimes de l’Ukraine, particulièrement pour le port de Marioupole, de Cherson et d’Odessa. Dans ce cadre, le Kremlin verrouille les ports maritimes pour prévenir et empêcher un acheminement d’armes envoyées clandestinement par les pays de l’OTAN. Cette phase est déterminante dans le processus d’invasion du président Poutine qui prévoit également l’alimentation de la Crimée en eau potable à partir du fleuve Dniepr et la jonction entre les troupes du Nord et les troupes du Sud afin d’asphyxier les ports de la mer d’Azov. Après l’encerclement des grandes villes ukrainiennes au Sud et au Nord, la stratégie russe consiste dans l’envoi d’une colonne de blindés et d’artillerie lourde, longue de soixante kilomètres, qui se positionne à 25 kilomètres de Kiev en vue de la prendre en tenaille.
La troisième phase ou plan 3, est la phase la plus rude. Il s’agit du basculement vers une politique de la terre brûlée qui consiste à saper le moral des troupes, des résistants et de la population civile. Cette approche faciliterait la chute du régime pro-occidental de Kiev et la reddition de l’armée ukrainienne.
Quant à la milice privée Wagner, dont l’Ukraine est le véritable berceau, elle sera chargée de missions sales de sabotages, d’assassinats, de viols, et de pillage des musées et des banques. Il n’est pas exclu qu’elle fasse appel à ses éléments les plus aguerris basés en Afrique, au Sahel (Mali, Libye, Soudan, RCA) et au Moyen-Orient (Syrie) pour épauler leurs collègues parachutistes engagés à Khirkiv ou à Kiev.
Les conséquences collatérales en Afrique
L’engagement militaire russe en Ukraine et les sanctions très lourdes sur l’économie de ce pays auraient un impact direct sur les pays africains au niveau commercial, militaire et culturel. Beaucoup d’États africains importent le blé, les pesticides, les engrais, des produits manufacturés et le matériel militaire de Russie et d’Ukraine. Ils y envoient aussi leurs étudiants dans leurs universités. La guerre a déjà impacté les exportations de plusieurs pays africains, le Kenya, la Tanzanie, la Zambie, etc. D’une manière générale, aussi bien les importations que les exportations sont pénalisées par la situation actuelle.
Le vote de la résolution de l’assemblée générale de l’ONU a montré qu’il y a encore quelques pays qui se sont abstenus en raison de leurs liens privilégiés avec la Russie. Cette dernière est liée par des accords militaires et sécuritaires avec un certain nombre d’États africains dont l’Algérie qui est le facilitateur et le soutien financier et logistique de la milice Wagner au Sahel.
Conclusion
Plusieurs villes ukrainiennes seront peut-être rasées comme Grozny en Tchétchénie et Alep en Syrie. Cela ne veut pas dire que l’invasion de ce pays européen par les Russes atteindra tous les objectifs de soumission des Ukrainiens qui continueraient la résistance grâce au soutien multiforme de l’OTAN. Un front international de volontaires est ouvert. Il vient s’ajouter à la destruction de l’Ukraine et pourrait mondialiser le conflit comme ce fut le cas en Espagne en 1936 et en Afghanistan en 1978 mais avec cette fois-ci une idéologie dominante libérale. Pour abattre toutes les cartes, les Russes vont alors vraisemblablement tenter de récupérer la partie russophone de la Moldavie et de la Géorgie et pourquoi pas des pays baltes. Le révisionnisme russe essaiera en fin de compte de faire reculer l’OTAN à ses frontières antérieures à la chute du mur de Berlin en 1989.
Selon les propos de Poutine et de Macron, l’avenir serait donc très sombre et pourrait dégénérer en conflit mondial.
Ce conflit européen aurait sans doute des conséquences gravissimes en Afrique, notamment au Sahel où la Russie a des projets d’investissements colossaux. Selon la doctrine de Poutine, l’Afrique est l’avenir du monde.
Avant que ce conflit ne s’élargisse aux autres continents, rappelons cette citation d’Hérodote que Raymond Aron fit graver sur son épée d’académicien : « aucun homme n’est assez dénué de raison pour préférer la guerre à la paix ».