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À qui profite le pillage du Sahara central ?

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Suite à la publication d’un rapport des services de renseignements allemands BND (Bundesnachrichtendienst), fondé sur les conclusions d’un centre de recherche turc repris par des journalistes algériens de la diaspora, la fortune des généraux algériens et du président Abdelmadjid Tebboun s’élèverait à plusieurs milliards de dollars. On est en droit de s’interroger sur les conditions de cet enrichissement illicite et illégal et sur le silence de plusieurs organisations internationales spécialisées dans la transparence et la lutte anti-corruption, comme Transparency International, Amnesty International, Human Rights Watch ou l’Iaac (International Association Against Corruption).

Les investigations et les enquêtes nous conduisent invariablement à la source de toutes les fortunes c’est-à-dire au pillage des ressources du Sahara central légué par la France du général de Gaulle à l’Algérie en échange de contreparties encore inconnues ou méconnues prévues dans les Accords d’Évian. La première des contreparties fut l’attribution calculée, imposée et injuste, par la puissance coloniale du grand Sahara (Tajakant, Saoura, Touat, Gourara, Tidikelt, Tadmaït, Atlas-saharien, Ahaggar, Ajjer, Fezzan) à l’intérieur du territoire d’un nouvel État, l’Algérie, liée impérativement au partage de ses richesses. En effet en 1963, son premier président Ahmed Ben Bella déclare au reporter de Cinq colonnes à la une (RTF Télévision), reconnaître que la France lui a offert le Sahara « en cadeau » et qu’il « ne pouvait le refuser ».

Outre l’importance de la position géostratégique de ce territoire, ses ressources considérables attisent la convoitise et engendrent une redoutable concurrence en raison de plusieurs facteurs endogènes et exogènes. Dans le contexte troublé des décolonisations, dés le début, le Sahara est l’objet d’un pillage systématique organisé, sans vergogne et sans scrupules, vis à vis de la population imazighen (Imouhars, Touaregs) et arabe en les maintenant dans la pauvreté et l’ignorance non sans avoir détruit et perverti les fondamentaux de leur culture, de leur économie et de leur société. La plupart des tentatives de développement local, très tardives, se soldent par un échec patent. Depuis l’indépendance, l’oligarchie militaire algérienne au pouvoir considère le Sahara comme un butin. Sous la tutelle de l’armée et des services de renseignements, il est transformé en bagne pour ses opposants politiques, en camp disciplinaire pour les fonctionnaires et les militaires, et se mue en source d’enrichissement illicite, rapide et sous contrôle. Le système militaro-politique applique les mêmes méthodes que celle du colonialisme français mais cette fois-ci avec bien plus de zèle, de corruption, de répression et d’incompétence. Les cadres coloniaux respectaient la société nomade, ses structures et ses traditions. Par ailleurs, ils ne furent pas insensibles à la magie du désert (Saint-Exupéry, Théodore Monod).

Les richesses du Sahara seront doublement gaspillées et volées pour cause de mauvaise gestion, d’incompétence, de corruption et d’impunité. Les hydrocarbures sont exploités par la Sonatrach (Société nationale des hydrocarbures et ses filiales) dont la majorité des travailleurs locaux sont relégués à des emplois subalternes de manœuvres, de gardiens, au mieux de chauffeurs et de guides. Sonatrach, Sonarem (Société nationale de Recherche minière, issue du BRGM créé par la France), Agenor (Agence nationale de l’Or), Entreprises de construction, issue de la restructuration de l’ex-DNC, seront les premières grandes entreprises d’État prédatrices. Plus tard, lorsque le Sahara sera mis en coupe réglée, l’exploitation des terres rares sera attribuée à des sociétés turques et chinoises en millier d’hectares dans les régions du Touat (Adrar), et de l’Ahaggar (Timiaouine). D’immenses quantités de minerais divers et variés (Or, lithium, diamant, vanadium, uranium, etc.) seront, semble-t-il, en partie commercialisés en dehors de tout contrôle commercial étatique.

En outre, l’exploitation des ressources du Sahara s’est toujours faite au dépens du milieu naturel,  de l’écosystème local et de la biosphère de la planète et souvent dans des régions classées patrimoine universel de l’humanité par l’Unesco et Réserve Mondiale de la Biosphère du MAB (Man and Biosphere). Ainsi, par exemple, la nappe albienne qui constitue une immense richesse fossile, et donc non-renouvelable, est gravement polluée par l’industrie des hydrocarbures et, depuis 2011, par la fracturation hydraulique sur les gisements de gaz de schiste (au niveau des affleurements de la nappe autour du plateau du Tadmaït – In Salah).

Les société nationales, privées ou multinationales, opérant dans le Sahara, demeurent sous contrôle strict des militaires en zones interdites d’accès aux civils, sous état de siège permanent. Dans ce cadre, les militaires, tout grade confondu, perçoivent selon l’opposition militaire algérienne des royalties directement dans leurs comptes locaux ou dans des paradis fiscaux. Ce pillage, rituel bien ancré dans les comportements du système, s’accompagne d’une activité lucrative des plus juteuses consistant à parrainer et à traquer, sur le terrain, les réseaux mafieux de contrebande de l’or, du carburant, de cigarettes, de cocaïne, de psychotropes, de médicaments périmés en passant par les denrées alimentaires, les armes, le racket des nomades, des passeurs et des migrants clandestins,  particulièrement dans la Tanezrouft, les Tassilis n’Ahaggar et le Ténéré. Ces activités génèrent des millions de dollars.

Officiellement, la rente pétrolière et gazière constitue plus de 90 % des exportations et des rentrées de devises de l’État et constitue 80 % du Budget de l’État algérien. Le Sahara, 2 millions de kilomètres carrés, constitue aussi 80 % du territoire algérien. Grâce à cette rente saharienne, les officiers des Taggarins se sont lancés dans une course d’armement dans laquelle ils bénéficient de commissions et de rétro-commissions colossales. Leur réputation n’étant plus à faire dans les revues de sciences économiques ou spécialisées en Occident. Les 95 % de la population qui se trouvent en dehors du Sahara, le Tell, sont pourtant très appauvris. « Sahara, pétrole, gaz et chômage » (Rosa Moussaoui, Humanité.fr, 16 juillet 2019). Ils ne bénéficient pas de la manne pétrolière, vivent dans la précarité et alimentent le flux migratoire incessant de millions d’Algériens de 1962 à 2023 au vu et au su de tous. La jeunesse est la principale concernée par cette hémorragie endémique.

Le rapport du service de renseignement allemand BND a évoqué la richesse de généraux qui dissimulent un véritable trésor de guerre estimé à plusieurs milliards de dollars placés dans des paradis fiscaux en Europe, au Moyen-Orient, en Amériques-latine et dans les caraïbes. En ce sens, de nombreuses pratiques se sont développées et banalisées depuis les années 70, renforcées pendant la période dite d’économie de marché. Durant la présidence d’Abdelaziz  Bouteflika, l’évaporation d’environ 1200 milliards, selon plusieurs économistes algériens, n’ont jamais vu le chemin du retour malgré les promesses de restituer « l’argent volé à l’étranger » et « nous savons où il est placé » et « nous avons un plan pour les récupérer », affirmations du président Abdelmadjid Tebboun dans un entretien officiel télévisé accordé au journaliste Khaled Drareni. Son confrère directeur de Radio M (Maghreb Émergent), Ihsen Elkadi actuellement emprisonné notament à cause de ses déclarations dans lesquelles il affirme que le président AT, pour des raisons électoralistes, ne pourra jamais récupérer l’argent subtilisé et blanchi. À ce propos, Le rapport du BND a révélé l’augmentation significative de la fortune d’Abdelmadjid Tebboun estimée à 8,5 milliards de dollars.

Cette pratique fut autrefois inaugurée par la disparition mystérieuse du trésor du FLN, butin de la guerre de libération et des cotisations des travailleurs immigrés et des étudiants. Rappelons, pour l’histoire, l’affaire de trafic international de devises entre Alger, Paris et Genève qui implique de hauts dignitaires algériens tels que le colonel Ahmed Draïa alors DGSN (Directeur Général de la Sûreté Nationale). Cela défraie la chronique, le Tribunal fédéral de Lausanne, en 1975, va notamment condamner à 5 ans de prison ferme le directeur technique de l’UBS (Union des Banques Suisses).

Ainsi, selon l’ex-rédacteur en chef de la revue de l’armée El-Djeich, Hichem Aboud, une partie des hauts gradés des Taggarins (MDN d’Alger) aurait accumulé une fortune colossale évaluée à plusieurs milliards de dollars répartie sur plusieurs comptes en Afrique du Sud, en Suisse, au Panama, etc. Le journaliste a décrypté le rapport de la BND et les recherches des grands centres turcs qui ont couvert une période de trois ans. L’incarcération à Blida de centaines d’officiers dont les avoirs en milliards restent encore dispersés dans la nature, n’est motivée que par des règlements de compte entre clans rivaux de l’ANP dans leur lutte pour le pouvoir et non pas en raison d’une quelconque opération anti-corruption, partie émergée de l’iceberg, sachant que la réalité dépasse la fiction.

Les habitants du Sahara, désignés avec cynisme par le terme de « Baqui el bled » (« le reste du pays ») à la télévision algérienne, demeurent les grands laissés-pour-compte spoliés des richesses de leur propre terre natale.

Abderrahmane Mekkaoui, politologue

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