A peine le cessez-le-feu est-il entré en vigueur dans la bande de Gaza que des milliers de rescapés palestiniens déplacés de l’une des guerres les plus féroces du 21eme siècle ont pris la route pour rentrer chez eux au milieu des décombres. L’entrée en vigueur de la trêve à 11h15 (9h15 GMT) dimanche a pris près de trois heures de retard sur l’horaire prévu, le Hamas ayant tardé à fournir la liste de trois femmes captives devant être libérées dans la journée pour « des complications sur le terrain et la poursuite des bombardements ».
Dans l’intervalle entre le début prévu de la trêve et son entrée en vigueur effective, Israël a mené de nouvelles frappes à Gaza qui ont tué 13 Palestiniens selon la Défense civile locale.
Selon le Hamas, les trois captives libérables dimanche sont Emily Damari et de Doron Steinbrecher, capturées au kibboutz Kfar Aza, et de Romi Gonen, enlevée au festival de musique Nova. Toutes trois sont israéliennes. Emily Damari dispose également de la nationalité britannique et Doron Steinbrecher de la nationalité roumaine.
Israël a désigné 95 détenus palestiniens libérables dimanche, des femmes et mineurs en majorité, la plupart arrêtés après le 7-Octobre 2023. Selon al-Jazeera, 76 détenus sont originaires de la Cisjordanie occupée et 14 de la ville sainte d’al-Qods. 69 sont des femmes et 21 des enfants de moins de 18 ans. Parmi les prisonniers appelés à être libérés figure Zakaria al-Zoubeidi, responsable d’opérations de résistance anti-israéliennes et ex-leader local de la branche armée du Fatah, arrêté, écroué en 2019.
Avant même la suspension des hostilités, des milliers de rescapés palestiniens chargés de leurs affaires ont pris la route pour rentrer chez eux, à travers le territoire dévasté, selon des images de l’AFP. A bord de camionnettes ou à pied, certains tout souriant font le V de la victoire, d’autres partagent des friandises ou brandissent le drapeau palestinien. Mais à Jabalia à l’extrême nord de Gaza, la joie se mêle à la consternation face au paysage apocalyptique de décombres laissé par une intense opération militaire israélienne.
Selon les premières estimations, l’offensive israélienne qui a tué et blessé 157.000 Palestiniens en 15 mois a détruit 80% de ses habitations, institutions et infrastructures. Elle a déplacé 85% de sa population et soumis 96% des habitants à une malnutrition sans compter les traumatismes psychologiques causés par 15 mois de bombardements et de raids.
Des milliers de policiers ont été déployés dans plusieurs provinces de la bande de Gaza pour faciliter ce retour. En même temps, les municipalités déblayaient les routes ravagées et envahies par les décombres. Des équipes spéciales des ministères et des institutions gouvernementales ont été mises sur pied pour cette mission.
Des résistants armés sont apparus parmi les gens qui fêtaient cet évènement.
Arraché mercredi par les médiateurs -Qatar, Etats-Unis, Egypte-, l’accord ambitionne à terme, selon Doha, de déboucher sur la « fin définitive » de la guerre. Mais Benjamin Netanyahu a prévenu qu’il s’agissait « d’un cessez-le-feu provisoire », et s’est réservé « le droit de reprendre la guerre si besoin et avec le soutien des Etats-Unis ». Gideon Saar, son ministre des Affaires étrangères, a aussi mis en garde contre une persistance de « l’instabilité régionale » si le Hamas, reste au pouvoir à Gaza.-
Résilience insoupçonnée du Hamas
Des experts ont assuré pour l’AFP que le Hamas a été affaibli mais il est toutefois encore loin d’être anéanti, contrairement à l’objectif qu’avait fixé B. Netanyahu. Pendant les deux premières semaines de janvier, les opérations de résistance contre les forces israéliennes dans l’enclave palestinienne ont causé la mort d’une vingtaine de soldats.
Hostile à la trêve, le parti du ministre israélien de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir (extrême-droite) a annoncé quitter la coalition au pouvoir, qui reste toutefois majoritaire au Parlement.
Au début de l’après-midi, des camions d’aide humanitaire sont entrés depuis l’Égypte dans le sud de l’enclave palestinienne en franchissant le passage de Rafah (Kerem Abou Salem). L’accord prévoit l’entrée de 600 camions d’aide par jour.
Aux termes de l’accord, les hostilités doivent cesser et 33 otages israéliens être libérés, dans une première phase de six semaines. En échange, les autorités israéliennes ont dit qu’elles libèreraient dans ce délai 1.904 Palestiniens. Pendant la première phase seront négociées les modalités de la deuxième, qui doit permettre la libération des derniers captifs, avant la troisième et dernière étape consacrée à la reconstruction de Gaza et à la restitution des corps des otages morts en captivité.
L’opération Déluge d’Al-Aqsa menée dans l’enveloppe de Gaza le 7 octobre 2023 a entraîné la mort de 1.210 personnes côté israélien, selon un décompte de l’AFP basé sur des données officielles. Un certain nombre des Israéliens tués ont succombé aux tirs de leur propre armée pendant qu’elle traquait les combattants palestiniens. Sur les 251 israéliens pris en captivité ce jour-là, 101 ont été libérés contre près de 300 détenus palestiniens dans l’unique opération d’échange des détenus en novembre 2023, 94 étaient restés en captivité à Gaza, dont 34 sont morts selon l’armée d’occupation israélienne, « dans les raids israéliens » sur la bande de Gaza, selon le Hamas qui n’a pas précisé leur chiffre exact.
Les médias israéliens ont discuté des principaux objectifs de la guerre dans la bande de Gaza, aucun d’entre eux n’ayant été réalisé par l’armée d’occupation, selon leur description.
La chaîne 12 a souligné que « l’un des objectifs de la guerre annoncé par le cabinet était de détruire le Hamas », ajoutant « nous sommes maintenant un an et quatre mois après la guerre et nous approchons peut-être de la fin de la guerre et le Hamas est toujours debout ». Elle a ajouté que s’il « est vrai que le Hamas a reçu des coups très durs, il est toujours debout et, de fait, il contrôle et gère les affaires de la bande de Gaza »
A cet égard, Tamir Pardo, ex-chef du Mossad, a rappelé à la chaîne la guerre du Vietnam dans la capitale, Saigon. « Le dernier jour de la guerre, il y avait deux colonels, un Américain et un autre du Nord Vietnam. A ce moment-là, l’Américain dit à l’officier vietnamien : de toute la guerre nous n’avons pas perdu une seule bataille, ce à quoi ce dernier répondit : c’est peut-être vrai, mais demain matin, vous partirez et nous resterons », a-t-il relevé. Il a de même noté que « la guerre ne se gagne pas seulement sur le champ de bataille. Le champ de bataille en est la première partie, mais la partie essentielle en est la fin ». Et de conclure que « le gouvernement israélien insiste pour ne pas résumer (comment mettre fin à la guerre), ce qui a porté préjudice à l’armée, aux procédures de combat de l’armée et nous a causé de grandes pertes, car Israël n’a pas dit comment il voulait mettre fin à la guerre ».
Le pape François a appelé dimanche au « respect immédiat » du cessez-le-feu à Gaza et la mise en œuvre de la solution des deux Etats. « J’exprime ma gratitude à tous les médiateurs », a déclaré le pontife argentin peu après le début de la trêve dans la bande de Gaza. « Je prie beaucoup pour eux et leurs familles. J’espère aussi que l’aide humanitaire parviendra encore plus rapidement et en grande quantité à la population de Gaza, qui a tant de besoins urgents », a souligné le souverain pontife.
D. Trump galvanise les sionistes
En 2020, le « deal du siècle » de Donald Trump pour le conflit israélo-palestinien prévoyait l’annexion par Israël de pans de la Cisjordanie. Le retour du républicain à la Maison Blanche en 2025 ravive en Israël le débat sur cette question ultra-sensible. Mais finalement, sous la pression de la communauté internationale et à la faveur d’un accord de normalisation de ses relations avec les Emirats arabes unis et Bahreïn facilité par le gouvernement Trump, « Israël a reporté », selon B. Netanyahu, son projet d’annexion partielle.
2025 sera « l’année de la souveraineté » israélienne en Cisjordanie, et l’arrivée du nouveau gouvernement américain l’occasion d’annexer les colonies de ce territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, veut croire le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, lui-même colon, et ministre chargé de la gestion civile en Cisjordanie (au sein du ministère de la Défense).
Hors Al-Qods-Est, occupée et annexée dès 1967 par Israël, plus de 490.000 israéliens vivent en Cisjordanie, au milieu de trois millions de Palestiniens, dans des colonies que l’ONU juge illégales au regard du droit international. Aujourd’hui, « l’Etat d’Israël doit prendre une décision », plaide I. Ganz, chef du Conseil de Yesha, principale organisation représentative des colons de Cisjordanie. Car sans une pleine souveraineté, « personne ne prend la responsabilité des infrastructures, des routes, de l’eau, de l’électricité » et « donc toute personne qui vit ici finit par en payer le prix », affirmait-il début décembre devant la presse, en allusion au fait que la Cisjordanie est soumise à la loi militaire. « Nous ferons tout pour appliquer la souveraineté israélienne, au moins à la zone C » qui est entièrement sous administration israélienne et représente environ 60% de la Cisjordanie, dit-il, évoquant des discussions à venir « entre Israéliens sur les zones concernées » et sur « les droits (des Palestiniens) qui resteront ».
Pour les Israéliens, la Cisjordanie, qu’ils appellent Judée-Samarie (en référence à deux royaumes bibliques) est le berceau du peuple juif. Pour les Palestiniens, ce territoire doit former avec la bande de Gaza la colonne vertébrale de l’Etat indépendant et souverain auquel ils aspirent.
L’intention de D. Trump de nommer Mike Huckabee, proche des milieux israéliens pro-colonisation, au poste d’ambassadeur des Etats-Unis à Tel-Aviv, a galvanisé les partisans de l’annexion. « Trump va mener une politique basée sur ce qu’il considère être le meilleur pour l’Amérique et la région », dit Eugene Kontorovich, du cercle de réflexion conservateur Misgav Institute. Selon lui, la question est de savoir « par quoi il va commencer cette fois-ci ». Car depuis 2020, les conditions ont considérablement changé avec la guerre à Gaza, déclenchée par l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre 2023, l’affaiblissement du Hezbollah libanais et la chute du président syrien, Bachar al-Assad.
« Le 7-Octobre a montré à tout le monde le danger de laisser le statut de ces territoires en suspens », estime E. Kontorovich en référence à Gaza, territoire dont l’occupation israélienne s’est retiré unilatéralement en 2005 et d’où le Hamas a lancé ses commandos. A ses yeux, « la guerre a réellement éloigné une grande partie de la population israélienne de la solution à deux Etats ».
Indépendamment de la réélection de D. Trump, des ONG de défense des droits humains dénoncent une annexion de facto, comme le prouvent selon elles la hausse des terres saisies ou la refonte discrète, sous l’impulsion de B. Smotrich, de la structure bureaucratique et administrative par laquelle Israël gère la Cisjordanie. Une annexion de jure serait, elle, lourde de conséquences en termes de droits.
Israël ne peut pour l’instant pas exproprier des terres privées en Cisjordanie, mais « une fois la région annexée, la loi israélienne (lui) permettrait de le faire. C’est là une grande différence », note Aviv Tatarsky, de l’ONG israélienne anti-colonisation Ir Amim. Comme il est également convaincu qu’en cas d’annexion de la zone C, les Palestiniens qui y vivent n’obtiendraient pas le statut de résidents, sur le modèle de celui accordé aux Palestiniens d’al-Qods-Est.
Aujourd’hui, ce statut permet notamment à ces derniers de saisir n’importe quelle juridiction israélienne en cas de litige, contrairement aux Palestiniens de Cisjordanie, qui ne peuvent saisir que la Cour suprême d’Israël.
D’autre part, relève A. Tatarsky, « plus de 90% des Palestiniens vivent dans les zones A et B (où l’Autorité palestinienne exerce des pouvoirs limités, NDLR) mais leurs besoins quotidiens, leur routine, sont inséparables de la zone C », où se trouvent « la plupart des terres » agricoles, et l’annexion pourrait virer pour eux au « cauchemar ».