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Xavier Driencourt : De l’effondrement de l’Algérie à la chute de la 5 e République française ?

L’analyse de l’ancien ambassadeur français en Algérie, monsieur Xavier Driencourt, dans les colonnes du Figaro du 10 janvier 2023, a suscité un grand nombre d’interrogations d’une part et de colère d’autre part, sur les deux rives de la Méditerranée. Mais l’ensemble des réactions s’accordent sur la question de l’effondrement de l’Algérie, pays créé de toute pièce par la France coloniale, susceptible de provoquer rien de moins que la chute de la cinquième République en France.
De l’effondrement de l’Algérie à la chute de la 5 e République française ?

Ce spécialiste qui a passé deux missions diplomatiques à Alger, alerte les dirigeants français en ce que leur soutien et proximité du système politico-militaire, auraient des conséquences négatives fâcheuses sur la stabilité et la cohésion de la France. Xavier Driencourt compare la chute de la quatrième république en 1958 qui serait liée aux événements de l’Algérie des années cinquante- soixante. Cette réflexion d’après plusieurs historiens français serait insensée et mitigée. La raison principale avancée est que la France qui a dépêché un million de soldats dans ce territoire avait maîtrisé la dimension militaire des événements en plus de la mise en place des lignes Challe et Morice sur les frontières nord des départements français d’Oran et de Constantine avec le Maroc et la Tunisie.

Dans ce contexte anxiogène, les Américains et les Anglais avaient fomenté avec un FLN aux multiples facettes – qui, plus tard, ira jusqu’à négocier avec l’OAS – des manifestations civiles monstres en 1960 dans le but d’exercer des pressions politico-diplomatiques à l’ONU et au Conseil de Sécurité sur le général de Gaulle pour inciter à l’organisation de référendum en Afrique du Nord.

Rappelons que Xavier Driencourt a occulté dans sa démonstration l’appui des USA, du

Royaume-Uni et du Royaume marocain en vue de former une armée algérienne, plus tard appelée « armée des frontières », déployée sur les bases réparties dans l’ensemble du Maroc, et aussi en Tunisie, par un soutien matériel, en logistique et en moyens de transmission et de télécommunication.

L’opération de pacification française en Algérie menée par de Gaulle et ses généraux n’avait pas affecté ou précipité la chute de la quatrième république mais au contraire elle a favorisé le retour en force des militaires au pouvoir en France et à Alger. Les négociations secrètes qui ont abouti aux Accords d’Évian donnaient à ce territoire une autonomie élargie assortie, d’un pseudo-concept d’intangibilité des frontières coloniales tout en continuant à défendre les intérêts militaires et géostratégiques de la France dont les bases d’armement spéciaux (bactériologiques, chimiques, biologiques, nucléaires, spatial et balistique).

Le fait de publier cet article, « L’énigme et l’effondrement de l’Algérie » dans Le Figaro, quotidien de la droite républicaine, s’inscrit dans le cadre d’un mécontentement général des France, historique et économique (institution militaire et CAC 40), qui suggère que l’effondrement de cet État fonctionnel est inéluctable et que deux à cinq millions d’Algériens, à la syrienne, vont fuir leur pays d’origine pour se réfugier dans l’hexagone sans oublier les millions qui vivent la clandestinité depuis la deuxième guerre civile en Algérie appelée décennie noire. Ce débat franco-français a poussé le président de la République monsieur Emmanuel Macron à un rétropédalage en insistant dans un entretien à l’hebdomadaire Le Point, que la France ne s’excuse pas et ne se repentit point des crimes de la colonisation en Algérie.

Beaucoup d’Algériens reconnaissent les bienfaits du colonialisme, la construction des villes sur le modèle haussmannien, les routes, les hôpitaux, les écoles, les universités, les infrastructures aéroportuaires et économiques (industrie, agriculture), à l’exception du Sahara central territoire militaire jusqu’en 1958, délaissé mais uniquement exploité pour ses richesses naturelles : le pétrole, le gaz, l’or, les terres rares, etc, qui viennent d’être découverts et mis en exploitation, et, surtout, pour les Armes spéciales, agréées par le FLN. Ainsi, très tardivement, le Sahara central sera découpé en deux nouveaux départements français en 1958 (110 ans après ceux d’Oran, Alger, Constantine).

La riposte algérienne à cet article, ne se fait pas attendre. En effet, elle est quasiment simultanée. Cependant elle évite soigneusement d’aborder les questions de fond et de s’interroger sur la véritable énigme que constitue l’Algérie elle-même. Plusieurs niches du DRS affiliées au pouvoir militaire d’Alger sont activées : Montréal, Londres, Paris, Madrid. Au lieu de s’attaquer en hauteur et en profondeur à l’analyse de Xavier Driencourt, ils évoquent des soi-disant problèmes de corruption et de malversations de l’ancien ambassadeur à Alger en confirmant ainsi leurs pratiques habituelles de dénigrement, de diffamation, de fake news, de chantage et de complotisme.

Ainsi, dans le cadre d’une rhétorique maffieuse totalitaire de bas étage, l’ambassadeur est retourné, transformé en celui par qui le scandale arrive. À grand renfort de relais interposés, il sera conspué, maudit, puisqu’il ose nous livrer un brin de vérité qui au fond n’est que l’arbre qui cache la forêt dans un pays où règne, comme le souligne son excellence, la loi du plus fort et qui aura souffert de 61 ans d’une féroce dictature militaire bananière mais sanguinaire, qui, de plus, ne dit pas son nom, se cache derrière son petit doigt meurtrier sur la gâchette (ou la chignole – au staff Bachir Tartag, Nasser Eljenn, Hamid Boulahia, Jebbar Mehenna …) et qui, de surcroît, infiltre et manipule ses diasporas.

Lorsque Xavier Driencourt dit qu’Alger ne comprend que le langage de la force, on le comprend fort bien à la lumière de ce qu’il reste d’un hirak qui aura pendant presque trois années vu des millions de citoyens exprimer pacifiquement leur désapprobation du régime d’Alger chaque vendredi et mardi et qui revendiquait la véritable indépendance (l’indépendance de 1962 fut piratée par la susdite armée des frontières) sans occulter l’existence d’un flux incessant de dizaines de milliers de « harragas » qui fuient l’enfer en traversant la grande bleue sur de frêles embarcations au péril de leur vie depuis des décennies (la méditerranée s’est peu à peu transformée en un immense cimetière au vu et au su de tous).

L’analyse pertinente de Xavier Driencourt, n’en déplaise aux généraux algériens « de pacotille », nous éclaire sur les conséquences désastreuses probables du soutien ou des non-dit de la France dans ses relations avec un partenaire compromettant, corrupteur, peu fiable, car cynique, vénal, caractériel, incompétent, hypocrite et lunatique. Dans un tel cadre toxique, se peut-il qu’il soit possible de construire l’algorithme des relations diplomatiques et politiques franches, durables et amicales dignes de ce nom entre la France et l’Algérie ?

Abderrahmane Mekkaoui, politologue

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