Lors d’une conférence de presse conjointe, N. Mikati a souligné que « le bon voisinage et les relations égales entre les deux peuples qui unissent la Syrie et le Liban sont ce qui régit les relations entre les deux pays ». Il a déclaré qu’il « est de notre devoir d’activer les relations sur la base de la souveraineté nationale des deux pays et de travailler pour empêcher tout ce qui pourrait nuire à cette relation. »
N. Mikati a révélé avoir discuté avec A. al-Charaa du dossier des réfugiés syriens au Liban, indiquant qu’il lui a fait part de la nécessité de le régler au plus vite, d’autant qu’il exerce une énorme pression sur le Liban. Quelque 2 millions de Syriens vivent sur le sol libanais, selon les chiffres de la Sûreté générale libanaise.
Le Premier ministre libanais a aussi indiqué avoir discuté de la situation des frontières avec le nouveau maitre de Damas. Des accrochages ont éclaté à Maaraboune, dans la Bekaa, le 3 janvier dernier lorsque des hommes armés ont ouvert le feu depuis le territoire sur des militaires libanais qui fermaient un passage illégal, blessant 4 d’entre eux. L’armée libanaise avait auparavant arrêté deux Syriens armés qui tentaient de pénétrer dans les territoires libanais puis les a relâchés.
« Nous nous donnons une chance de construire une relation positive dans les étapes à venir, basée sur la souveraineté du Liban et de la Syrie, et nous nous tiendrons en Syrie à égale distance de tous les Libanais, et nous allons essayer de résoudre les problèmes », a déclaré pour sa part, A.al-Charaa. Il a ajouté : « Nous avons discuté de questions liées aux relations, de problèmes de contrebande et des dépôts syriens dans les banques libanaises. »
Selon les rapports publiés par la Banque centrale du Liban et l’Union des banques arabes, les dépôts syriens constituaient entre 20 et 25% du total des dépôts des banques libanaises avant la crise 2019. Mais l’aggravation de la crise bancaire au Liban et la diminution des réserves de la Banque centrale du Liban de 36 milliards de dollars en 2016 à environ 8 milliards de dollars en 2024 ont rendu la récupération des dépôts presque impossible.
A. al-Charaa a déclaré avoir également soulevé la question de la démarcation des frontières entre les deux pays. Le nouveau dirigeant syrien a assuré que son pays n’allait plus exercer « une ingérence négative » au Liban et qu’il respecterait la souveraineté du pays voisin.
Auparavant, une réunion privée avait eu lieu entre N. Mikati et A. al-Charaa au Palais du peuple syrien à Damas. La visite de N. Mikati, qui répond à l’invitation, selon son bureau de presse, du chef de l’administration politique au pouvoir, A. al-Charaa, est la première d’un chef de gouvernement libanais depuis le déclenchement du conflit en Syrie en 2011.
Chasse à l’homme…
Dans les provinces syriennes de Homs et Hama, les quartiers et villages de la communauté alaouite, dont est issu le président déchu Bachar al-Assad, vivent dans la peur de représailles des nouvelles autorités, qui ont procédé à des centaines d’arrestations, selon des habitants. A l’entrée des zones à majorité alaouite, des hommes armés en treillis sont postés à des barrages de contrôle.
Deux témoins – qui comme la plupart des personnes interrogées par l’AFP requièrent l’anonymat pour raisons de sécurité – affirment que des habitants ont été interrogés sur leur appartenance confessionnelle à un barrage.
Shihadi Mayhoub, ancien député de Homs, qui dit avoir rejoint l’opposition à B. al-Assad en 2012, affirme avoir recensé jusque-là « près de 600 noms de personnes arrêtées » dans son seul quartier de Zahra. Dans l’ensemble de la ville, « le nombre de personnes arrêtées dépasse les 1.380 », dit-il.
Pour l’AFP, Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), fait lui état d’au moins 1.800 personnes, principalement alaouites, arrêtées à Homs et sa région. Parmi eux figurent, selon S. Mayhoub, « des généraux à la retraite, des colonels qui ont régularisé leur situation dans les centres dédiés », et une « majorité de civils et de conscrits ». Dans le quartier voisin d’al-Sabil, des officiers ont été battus devant leurs épouses, assure-t-il.
Selon des habitants, des soldats et conscrits qui s’étaient enregistrés et avaient remis leurs armes, comme demandé par les nouvelles autorités, ont aussi été arrêtés. Les nouveaux dirigeants – au pouvoir depuis la prise de Damas le 8 décembre par une coalition rebelle dirigé par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC)- nient de leur côté tout abus, affirmant cibler les anciens membres des forces d’Assad. Ils répètent n’avoir pas l’intention de nuire aux minorités, dans un pays multi-ethnique et multiconfessionnel.
Les autorités de Homs ont dit qu’elles allaient libérer les détenus prochainement, selon S. Mayhoub, qui impute les violations de droits aux groupes alliés à HTC.
« Nous vivons dans la peur », témoigne un habitant de Zahra. « Au début, ils ont dit que c’étaient des incidents isolés. Mais il n’y a rien d’isolé dans tant d’incidents ». Un autre résident confie n’avoir pas eu de nouvelles de son fils, un soldat, depuis son arrestation à un poste de contrôle hors de la ville la semaine dernière.
À travers la Syrie, la violence contre les Alaouites, longtemps associés au clan Assad, a considérablement augmenté selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, qui a enregistré au moins 150 meurtres, principalement dans les provinces de Homs et Hama, depuis le 8 décembre.
Le gouvernorat de Hama au centre du pays fait aussi l’objet de persécutions à l’encontre de citoyens alaouites dans les régions nord et est. Des exécutions à l’identité ont été perpétrées sous prétexte que les victimes étaient liées au régime d’Assad, rapporte le quotidien al-Akhbar. En outre, des pressions sont exercées sur les habitants de certains villages à l’est, notamment à al-Zaghba, Mobatan, Marioud , al-Fanate, et Maan, pour les pousser à les quitter : leurs biens sont pillés et leur demeures incendiées, rapporte un habitant pour al-Akhbar. Et d’ajouter que des hommes armés ont tué il y a deux jours un civil qui était revenu inspecter sa maison. « Et lorsque les responsables de HTC sont contactés pour connaitre l’identité des assassins, ils disent que la région est en dehors du contrôle de leurs factions et qu’ils n’ont rien à voir avec ces abus ».
Les attaques contre les sites religieux alaouites se poursuivent. Vendredi, le mausolée d’un religieux de la communauté alaouite, cheikh Mohamad al-Ajami a été dynamité au moyen d’explosif par deux hommes. Une source des services de renseignements généraux syriens a annoncé avoir réussi à déjouer samedi un attentat à l’intérieur du sanctuaire de Sayyeda Zeinab dans la capitale syrienne, Damas.
La source a déclaré à l’agence officielle SANA que « le Service général des renseignements, en coopération avec le Département de la sécurité générale dans la campagne de Damas, a réussi à déjouer une tentative de Daech (EI) de mener un attentat à la bombe à l’intérieur du sanctuaire de Sayyeda Zeinab à proximité de la capitale, Damas ».
Selon cette source, plusieurs personnes impliquées dans cette tentative ont été arrêtées.
Dossier kurde
Face aux menaces turques, les dirigeants kurdes de Syrie optent pour le protectorat des forces occidentales. Jeudi, Mazloum Abdi, commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (FDS) a demandé au président américain élu Donald Trump de maintenir les forces US au nord de la Syrie, où une douzaine de bases américaines illégales sont établies et 2000 soldats sont déployés. Dans une interview avec The Guardian, M. Abdi a brandi le spectre de la menace de Daech pour justifier cette présence US arguant que « le retrait américain pourrait favoriser le retour de Daech (EI) ».
« Le principal facteur de stabilité dans cette région est la présence américaine sur le terrain », a-t-il ajouté. « Si les 2 000 soldats américains se retirent, cela entraînera la réémergence de nombreuses factions, dont l’EI », toujours actif en dépit des « actions » de la coalition internationale mise sur pied depuis 10.
Ilham Ahmad, responsable des affaires étrangères de l’Administration kurde au nord de la Syrie, a été certes plus franche lorsqu’elle a déclaré que des tractations sont en cours sur l’éventualité que les Etats-Unis et la France participent à la sécurisation des frontières avec la Turquie afin « d’ôter le fusible du conflit entre Ankara et les Kurdes ».
Dans une interview avec TV5 monde, elle a demandé aux Français d’envoyer des forces à la frontière pour sécuriser la région démilitarisée et nous aider à protéger la région et à établir de bonnes relations avec la Turquie.
Le ministre turc des Affaires étrangères a de nouveau réitéré vendredi les menaces de son pays contre les milices kurdes. « La fin du chemin est désormais proche pour les organisations séparatistes et leur prolongement en Syrie », a averti Hakan Fidan, assurant que « la Turquie ou la nouvelle administration syrienne pourrait mettre en exécution une opération militaire contre les Unités de protection du peuple (YPG) ». Cette organisation ainsi que son antenne politique PKK sont considérées comme des organisations terroristes par Ankara.
Selon lui « la Turquie dispose de la puissance, des capacités et de la volonté d’éradiquer toutes les menaces qui la guettent ». « Si la France veut lutter contre le terrorisme elle devra incarcérer ses détenus parmi les terroristes de Daech dans ses prisons et non les laisser dans les prisons des YPG puis apporter son soutien à ces dernières », a-t-il assuré.
Et Hakan Fidan de conclure que « la Turquie n’accorde aucun intérêt aux Etats qui voudraient se cacher derrière les Etats-Unis pour promouvoir leurs intérêts ».
Les combats se poursuivent depuis un mois dans le nord syrien entre les FDS et les factions pro turques de l’Armée nationale syrienne, avec l’appui des forces turques. L’OSDH a fait état de 337 tués dont 241 membres de l’ANS et 65 des FDS.
Israël n’est pas à l’écart de l’enjeu kurde au nord de la Syrie et envisage d’ores et déjà la scission de la Syrie. Selon le quotidien Israel Hayom, une session restreinte présidée par le ministre israélien de la Sécurité, Israel Katz a étudié une proposition visant à créer un comité international qui aura pour rôle de diviser la Syrie en cantons. Cette proposition a été faite par le ministre et membre du gouvernement Eli Cohen qui suggère l’organisation d’une conférence internationale sur la Syrie pour discuter de ce projet de division de la Syrie. Les délibérations qui ont eu lieu pendant cette réunion ont évoqué « les craintes pour la sécurité des minorités dans la région et l’intervention turque croissante ».
La rencontre prochaine qui sera plus élargie et aura lieu ultérieurement avec Netanyahu sera centrée sur l’ingérence turque en Syrie.
Des sources de sécurité ont assuré au journal qu’ « Israël n’a pas l’intention de rester en Syrie, mais il n’a pas non plus l’intention de quitter les zones qu’il contrôle jusqu’à ce que la situation se stabilise ». Mais la conférence internationale pourrait être l’un des moyens pour l’armée israélienne de rester dans les zones qu’elle a pénétrées, d’autant que la conférence « remodèlerait la Syrie et ses frontières », font remarquer ces sources.
Depuis la chute de B.al-Assad, l’entité sioniste a occupé la zone tampon du Golan et des territoires dans les provinces du sud de la Syrie, soit quelque 600 km2.
Citant de hauts responsables israéliens, le Yedioth Ahronoth a affirmé qu’Israël envisage de contrôler une zone s’étendant sur une profondeur de 15 km à l’intérieur du territoire syrien, et d’établir une « zone d’influence » sous le contrôle des renseignements, à 60 km de profondeur. Des experts estiment que les responsables israéliens s’inquiètent de l’expansion de l’influence turque en Syrie du fait qu’elle est le principal soutien aux factions qui ont pris les pouvoir.
« Les déclarations turques audacieuses qui reflètent l’euphorie de la victoire se heurtent aux craintes israéliennes de voir la Turquie former un nouvel axe régional dans la région en renforçant son influence en Syrie, comme alternative à l’axe iranien, à un moment où Tel Aviv estime qu’il a joué un rôle majeur dans l’affaiblissement de l’influence iranienne », a indiqué l’expert militaire D. Mohamad Kamal al-Jafa pour le site d’information syrien Erem News.
Selon al-Jafa, « Israël estime que la poursuite de la Turquie sur cette voie conduira à la formation d’une nouvelle alliance régionale, non seulement sur le plan militaire et sécuritaire, mais créera également une compétition géopolitique autour des richesses et des capacités de la région. »