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Influences géopolitiques au Sahel et reconfiguration

Afin d’y voir un peu plus clair sur les gesticulations diplomatiques et politiques entre Alger et Bamako au sujet de l’avenir du territoire de l’Azaouad (plus de 800 000 km² au nord du Mali, incluant la boucle du Niger, l’Adrar des Ifoghas, Taoudenni, Tombouctou, le Tilemsi), il est à remarquer que les deux pays, Algérie et Mali, se partagent de nombreuses similitudes.
Influences géopolitiques au Sahel et reconfiguration

Ils partagent les mêmes doctrines, ont les mêmes visées hégémoniques dans l’espace sahélo-saharien, partagent les mêmes carences, la même indigence, la même corruption, la même inaptitude à gérer un État et une société multiculturelle pourtant autrefois épanouie. La seule différence est que l’un est plus riche que l’autre de ce qui ne lui appartenait pas. Il s’agit d’un miroir inversé : le septentrion de l’un étant le sud de l’autre. Les deux pays sont la création de l’ex-puissance coloniale, avec des tracés à la règle de frontières factices et indéfendables. Ces deux territoires coloniaux regorgent de richesses naturelles fort attrayantes pour les grandes et moyennes puissances. Ethniquement les populations des deux territoires voisins sont communes, diverses, hétérogènes et antagoniques du moins depuis que la colonisation a placé les uns aux manettes du pouvoir, au détriment des autres, et réduit ces derniers à l’état de pseudo-minorité car leurs terres ont fait l’objet de dissection sur le cadavre des victimes des essais nucléaires. L’une des plus vastes aires géographiques du monde est découpée au scalpel en tant de morceaux qui vont l’atomiser tentant ainsi de lui faire perdre son unité pourtant plusieurs fois millénaire et aussi écologique. On comprendra qu’au final, cette vivisection, dont l’Afrique de l’Ouest est aussi victime, est vouée à l’échec. Le Sahara aura toujours le dessus. Ses habitants, seuls, aujourd’hui, possèdent la capacité de lutter contre les mirages. Ils ont affiné leur capacité de s’y adapter et d’y vivre en symbiose car il constitue la substance primordiale de leur histoire, de leur âme.

Les dissensions interethniques ont particulièrement été exacerbées pendant le demi-siècle de colonisation et accentuées durant celui des indépendances mais ce n’est guère représentatif au regard de l’histoire et de la géographie.

Au Mali ou en Algérie, les dirigeants des deux États ont partagé la même idéologie « socialiste » et « nationaliste » et sont complices du génocide, physique, sociétal et culturel, à petit feu de leurs populations sahariennes et nomades respectives. En 1963, Modibo Keita et Ahmed Ben Bella sont les meilleurs alliés encouragés probablement par le bloc de l’Est et par la gauche française partisane de l’étouffement de toute revendication de minorité ethnique par jacobinisme et par égard aux théories dites de centralisation démocratique verticale chère au marxisme et autres idéologies de gauche revues et corrigées.

Plusieurs similitudes, encore, sont liées à la falsification et à la perversion de l’histoire et de la géographie. Aujourd’hui, sachant que nombre de rapports internationaux procèdent d’hypocrisies et de manipulations diverses, les élucubrations, qu’a connu l’année 2022, traduisent en réalité les souhaits et une stratégie des hommes politiques algériens et maliens complices ou alliés objectifs dans leur solution finale d’éradiquer, chacun, une minorité de Touaregs, de Maures (nomades arabes) et de Peuls qui ont pris conscience de la nécessité de prendre en main leur destin, un avenir sans tutelle et sans le parrainage intéressé de quiconque. Comme dit le dicton, chacun reconnaîtra les siens. Dans ce processus d’émancipation, la fusion de plusieurs groupes politiques et militaires de l’Azaouad dans une structure unique et représentative est un progrès substantiel. Cette fusion s’est opérée de manière tout à fait indépendante des acteurs habitués à manipuler les élites de l’Azaouad depuis 60 ans. La devise principale diviser pour régner aussi bien au Mali qu’en Algérie semble désormais faire partie du passé récent si mortifère et si tragique pour les populations azaouadienne.

La visite de la coordination des mouvements de l’Azaouad à Alger, semble-t-il, bouleverse la donne politique des deux juntes militaires au pouvoir à Alger et à Bamako. En effet, sur fond de jeu théâtral désormais inopérant, mis en scène par Bamako et par Alger, les régimes post-coloniaux – mais toujours coloniaux au ressenti saharien – semblent avoir perdu l’initiative tant sur le terrain politique que sur le terrain militaire.   

Les pressions exercées sur la CMA à Alger et les offrandes accompagnées de menaces et d’humiliations conséquentes, ont poussé la junte militaire de Bamako à mettre, soit-disant, en garde l’Algérie et la médiation internationale. Les maliens bambaras ou bamananes au pouvoir, minorité du grand ensemble mandingue d’Afrique de l’Ouest, ont, récemment, cousu une constitution sur mesure qui prévoit des élections présidentielles en vue d’une présidence à vie d’Assimi Goïta, dernier colonel putschiste de la caserne de Kati (usine à coups d’État), bientôt proclamé empereur des Mandingues à l’instar du maréchal-empereur Bokassa. Aujourd’hui, les deux oligarchies militaires alliées continuent à instrumentaliser l’accord de paix d’Alger signé en 2015 avec les groupes armés de l’Azaouad. En fait, l’État-major algérien inquiète les officiers de Kati. Les deux sont en pleine course à l’armement et empêtrés dans leur contradictions réciproques. Au final, les différents camps s’accusent mutuellement de violations répétées de l’accord de 2015, qui ne signifie plus rien pour la population, ni d’ailleurs pour les dirigeants politiques et militaires car, désormais et de facto, vidé de sa substance. Les derniers rapports publiés en Espagne et aux États-Unis évoquent une éventuelle alliance militaire entre l’Algérie, le Mali, Wagner et les Gardes de la Révolution iranienne.

Connaissant les relations qui existent entre militaires algériens et faux jihadistes qui s’activent au Sahel, les militaires maliens soupçonnent les Algériens de collusion de plus en plus manifeste avec les faux djihadistes du Sahel (dont les émirs sont des Algériens) qui gangrènent, au sens propre du mot, la situation sur le terrain. La propagande malienne ou russo-malienne n’étant pas avare de ses nouveaux moyens de communication sociale numérique, profèrent dans ses vidéos et autre canal d’information, moderne ou traditionnel, les mêmes accusations à l’égard de la CMA.

Ces accusations serait de nature à tenir pour responsables les mouvements politiques et militaires de l’Azaouad des conséquences des violations de l’accord de 2015. Cette position du gouvernement du Mali, lui permettra, selon son point de vue, de faire endosser une intensification de la répression et des hostilités à la CMA. Sauf que Bamako oublie qu’elle n’a aucune légitimité ni constitutionnelle ni populaire, surtout lorsque l’on sait dans quel état se trouve le Sud-ouest du Mali vidé d’une partie de ses habitants par l’hémorragie continuelle de l’immigration économique régulière et clandestine en direction des mouroirs, des serres agricoles et de la voirie des métropoles de l’Union européenne. Enfin, ces provocations répétées de Bamako traduisent une période de vive conflictualité et de tensions entre l’oligarchie militaire de Bamako-Kati, la société civile malienne et la CMA.

Dans ce contexte anxiogène, nous proposons les scenarii suivantes :

1- Entrée en scène de l’ANP en Azaouad

Continuation, car les hostilités et les exactions n’ont jamais cessé depuis plus d’un demi-siècle, ou perpétuation des hostilités entre les Famas-Wagner et les groupes armés de la CMA, de faible intensité. Dans ce cadre, Alger pourrait intervenir car la constitution algérienne modifiée fin 2020 qui a rompu avec la tradition de non-interventionnisme, lui permet désormais de réaliser des engagements extérieurs. Ainsi, Alger prétendra jouer les médiateurs intelligents et s’imposer en tentant d’instrumentaliser l’UA et l’ONU, invoquant un appel au cessez-le-feu et au désengagement des belligérants.

2- Alliance Famas-Wagner, Anp et ses milices

Les Famas, les Wagner, aidés par le renseignement algérien et russe et les quelques moyens militaires livrés dernièrement par les Russes, les Turcs et les Chinois, vont tenter la reconquête des bastions fort des « rebelles » de Kidal, d’Anefis, de Boughessa, de Ber, etc. Cette prise éventuelle des bastions dit « rebelles » rappelle à notre souvenir le sinistre droit de poursuite accordé à Modibo Keita en 1963 par Ahmed Ben Bella. Les conséquences de cette guerre asymétrique entre la CMA et les Famas-Wagner-Djihadistes-Anp risquent très probablement d’aboutir au génocide ou à l’extermination d’une grande partie des centaines de milliers d’innocents des populations civiles azaouadiennes et probablement aussi de celles actuellement réfugiées dans tous les pays voisins.

Le colonel Assimi Goita grâce aux mercenaires de Wagner, à la complicité d’Alger et des groupes djihadistes, inquiets de l’extension régionale du conflit, pourrait tenter une improbable ou pseudo négociation entre Ahmadou Koufa, commandant de la brigade du Macina, et les élites nostalgiques d’un « Mali kurra » fantomatique redessiné et falsifié sous un nouvel empire mandingue dont la configuration territoriale et humaine correspondra cette fois-ci au découpage colonial et non pas aux réalités historiques, économiques et politiques de la région depuis plusieurs millénaires et selon une version étriquée et injuste ayant résulté du tracé colonial qui lui-même obéissait à des besoins et à une conjoncture marquée par les intérêts et les contraintes de l’ancienne Afrique occidentale française (AOF) et du Soudan occidental français.

3- Hégémonie malienne en cours

La solution militaire qui consiste à éradiquer les mouvements armés et à décimer leurs soutiens, y compris dans les camps de réfugiés dans divers pays de la zone sahélo-saharienne, conçue par les stratèges russes, algériens et maliens, viserait à obtenir le soutien des notables traditionnels des tribus du nord à la transition prévue par Bamako et les Famas. Ce scenario est obsolète et rangé dans la case du déjà vu et inefficient. Les légitimités traditionnelles ne reconnaîtront jamais la nouvelle constitution en gestation d’un régime putschiste et qui stipule que le Bambara deviendra langue officielle pour tous les Maliens, certainement pas en Azaouad et au Macina dont les cultures autochtones de peuples premiers doivent impérativement être sauvegardées.

4- Solution politique

Ainsi, pour les Azaouadiens, la solution du problème de ce territoire est sans aucun doute politique et non pas seulement militaire. La reprise des hostilités va unir, encore plus fort, les habitants de l’Azaouad, y compris ceux réfugiés à l’étranger, appelés à rentrer rejoindre la guérilla et la résistance contre les colonisateurs et les envahisseurs de tout acabit de l’Azaouad, qu’ils soient Maliens, Wagner, Djihadistes, Iraniens ou autres. Selon les observateurs et les experts, la Cma demeure toujours ouverte à des négociations, d’égal à égal, sans ingérence, toutefois sous l’égide de l’Onu et de la communauté internationale. Revendication et condition sine qua non, préalable pour permettre de sortir du bourbier malien, tout en épargnant le plus possible les populations souffre-douleurs, déshéritées, précaires, en errance et sans défense.

5- Convoitise et pénétration de puissances exogènes

D’une guerre multipolaire tout azimut en Azaouad résulterait une implosion locale et une série d’explosions peu maîtrisables dans toute la région sahélo-saharienne et dans la zone MENA (Middle East and North Africa) à moyen et à long terme (quand on sait que les opérations Serval, Barkhane, Takouba ont duré une décennie). Cette guerre mettra en relief de façon éloquente les positions contradictoires des djihadistes, des faux djihadistes et des réseaux maffieux de trafic. Famas et Wagner, d’une part, et CMA d’autre part, les deux belligérants, connaissent bien les relations ambiguës qui existent entre ces groupes, troublions parasites, et les militaires d’Alger mais aussi de puissances moyennes plus orientales. Toute alliance avec ses mouvements apparentés au terrorisme international aboutirait à la fois à la désorganisation de la CMA mais aussi à celle des Famas déjà en déliquescence et, pour le moins, satellisées et phagocytées par Wagner sur le terrain.

En conclusion, malgré la résilience relative militaire de la CMA, quelque soit le scenario envisagé, la solution militaire de Bamako sera, sans doute, encore une fois vouée à l’échec. La fin de l’influence de la France précipitera dans l’espace sahélo-saharien une série d’explosions et de bombes à retardement du fait d’une conjoncture nouvelle empêchant son ancien projet colonial de se réaliser comme prévu initialement. 

Ce changement prévisible a donné l’occasion à d’autres puissances de s’implanter localement en manipulant, à leur tour, les militaires et les élites au pouvoir sur fond de haine démagogique à l’égard de la France en s’appuyant sur les anciennes et parfois nouvelles technologies de l’information et de la désinformation.

Enfin, l’Onu et ses grandes organisations internationales sont appelées à repenser la problématique de l’Azaouad à partir de nouveaux paramètres plus pragmatiques et audacieux. Une nouvelle stratégie englobant une participation réelle de la population azaouadienne sans interférences étrangères serait plus productive et plus juste. L’Onu, à travers la Minusma, doit être saisie de la question de l’Azaouad.

Notons que, présente depuis une décennie dans la région, la Minusma (mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), elle-même, a déjà enregistré de nombreuses pertes. Son mandat lié à l’Accord caduc de 2015 perd de sa consistance ce qui implique une reconfiguration qui devrait désormais s’attacher à remplir les missions qui lui ont été confiées. La CEDEAO, pour sa part, a fort à faire avec de nombreux régimes putschistes hors normes installés dans la durée.

In fine, et pour faire l’économie d’un scenario onusien d’enlisement stérile semblable à celui de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) ou d’un scenario à l’oriental (Irak, Syrie, Afghanistan), l’ONU devrait urgemment inviter ses troupes, dans le cadre de nouvelles dynamiques azaouadiennes et du respect des droits humains et des principes du droit international humanitaire, à protéger la population civile contre les violations des droits de l’homme systématiques et les appels à la haine de Bamako afin d’éviter à tout prix un second génocide africain à la rwandaise. Le destin des Azaouadiens et de l’ensemble des Touaregs et nomades sahariens serait-il semblable à celui des Kurdes au Moyen-Orient ? Subiront-ils le même destin cruel ? 

 Abderrahmane Mekkaoui

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