Elaboré par l’Association marocaine des droits humains (AMDH), Transparency Maroc et l’Espace associatif, le mémo dévoilé vendredi 8 décembre à Rabat, préconise une réforme susceptible d’asseoir la justice fiscale, grâce à une transparence dans la gestion des impôts, la lutte contre la corruption et la rationalisation des dépenses, ces aspects étant intimement liés aux Objectifs de développement durable (ODD).
Ces observations font référence notamment aux remarques du Conseil économique, social et environnemental en 2019 et 2020, ainsi qu’aux conclusions des troisièmes Assises nationales de la fiscalité, outre les dispositions légales relatives aux impôts. A ce titre, les trois ONG ont exprimé leur inquiétude sur le fait qu’en l’absence de mesures efficientes sur le long terme, une mouture du PLF basée sur les équilibres financiers ne saurait apporter des réponses viables à impact social, face à la crise multidimensionnelle actuelle.
Bien que le gouvernement ait mis en place des programmes spécifiques, telle que l’aide sociale directe, les trois organisations estiment que le financement de ces politiques-là serait supporté par la classe moyenne, dont les contributions provenant des impôts indirects représentent 75% des recettes fiscales. Par ailleurs, le démantèlement de la Caisse de compensation et l’augmentation consécutive des prix des produits base (gaz, électricité…) alerte sur un prochain appauvrissement de cette classe moyenne, selon la même source. Celle-ci souligne aussi la réduction de l’impôt sur les grandes entreprises (30 à 20%) et son augmentation pour les petites entreprises (10 à 20%).
Abdelkabir El Miloudi, membre du bureau central de l’AMDH, a rappelé que 2% des entreprises seulement paient 80% des recettes fiscales totales, ce qui signifie que 98% des structures légalement constituées ne paient que 20% des impôts obligatoires.
Pour ces raisons, le mémorandum recommande d’« instaurer le principe de progressivité fiscale et assurer une répartition équitable de la charge fiscale, en fonction des capacités réelles de chaque contribuable ». Il préconise aussi « des sanctions plus sévères pour les infractions graves », en plus de « la réduction de la pression fiscale », la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, ou encore « la révision des taux et la répartition de l’impôt sur le revenu afin de soutenir le pouvoir d’achat des faibles revenus et des classes moyennes ». Le document appelle, en outre, à « instaurer un régime fiscal spécial pour les biens non productifs et les activités de spéculation ».
Face à une opacité qui accentue les déséquilibres, les programmes sociaux dans des secteurs clés comme la protection sociale ou l’éducation nationale se trouvent également impactés, selon Ahmed El Bernoussi, de Transparency Maroc. Ce dernier a estimé notamment que le succès de la couverture sociale universelle ne serait envisageable pour le moment, « compte tenu de la faiblesse du budget alloué au secteur, qui représente 6% du budget général, alors que le minimum fixé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 9% ». Le manque de ressources humaines est également un défi, puisque « le Maroc ne compte que 7 médecins pour 10 000 habitants, alors que la moyenne mondiale est de 15 pour 10 000 », a ajouté l’associatif, tout en soulignant la privatisation aléatoire de ces départements vitaux.
En outre, il a mis en avant l’idée que la lutte efficace contre la spéculation permettrait également de réinjecter des fonds conséquents aux caisses de l’Etat, et qui pourraient être redéployés dans ces chantiers. A ce titre, il a évoqué notamment la question de l’enrichissement des sociétés de carburants, pénalisées par le Conseil de la concurrence et devant verser plusieurs milliards de dirhams.
Au nom de l’Espace associatif, Abderrahim Chafii a déclaré que le principe de développement devait être pris dans sa globalité, « étant donné que le droit à la santé ne signifie pas seulement le droit d’accès aux soins, mais aussi un certain bien-être psychologique, social et économique », lié à différents aspects relatifs aux dimensions socioéconomiques et environnementales des politiques financières étatiques et de leurs orientations. Pour ce faire, il a préconisé, entre autres, le renforcement des institutions étatiques, de manière à leur permettre de remplir leur rôle de suivi et de réglementation faisant respecter les engagements d’un Etat social.
Afin d’apporter des réponses globales à ces problématiques, le mémorandum recommande notamment de réactiver la Stratégie nationale de lutte contre la corruption, non-mise en œuvre depuis son approbation en 2015.
Ce document prône également l’activation de la Commission d’intégrité en désignant ses structures, restées gelées depuis l’élaboration de ses lois en 2015 et 2021. Plus, un plan national et un mécanisme spécial pour lutter contre la corruption, la dilapidation des deniers publics et la spéculation permettra par ailleurs de consacrer le principe de responsabilité et de non-impunité dans les crimes financiers, économiques et environnementaux, dans une démarche équitable permettant un traitement égal au regard de la loi.