Les sorties du ministre de l’Education nationale ne lui réussissent pas. La preuve est à évaluer à l’aune de la crise qu’il alimente plus qu’il ne cherche à réduire, comme l’exige tout bon sens devant prévaloir chez tout serviteur de l’Etat. La dernière de ses sorties a consisté en la légitimation des coupes salariales dont pâtissent les enseignants grévistes alors que la justice a dit son mot à ce sujet. Pour C. Benmoussa, les jugements qui ont fait jurisprudence en la matière, des enseignants ont été rétablis dans leurs droits en recouvrant la quotepart salariale « perdue » pour débrayage, ne le concernent pas !
A la Chambre des Représentants, le ministre, a rappelé lundi lors de la séance de questions orales, que « le droit de grève est garanti par la Constitution, mais en même temps la loi affirme le principe de la rémunération du travail, et c’est ce qui a été fait avec les gouvernements précédents ». Cette mesure, a-t-il Il a ajouté, a été appliquée dans l’unique but de ramener les professeurs et les élèves en classe, pour ne pas perdre une année, ajoutant que c’est pour cette même raison qu’il y a eu un « dialogue sérieux et responsable » avec les enseignants. Pourtant, le ministre n’ignore pas que les coordinations qui ont supplanté les syndicats, y compris les « plus représentatifs » comme l’atteste la faconde gouvernementale, ne sont pas des coquilles vides. Loin s’en faut quand bien même les uns se précipitent pour diaboliser les grévistes ! Les enseignant grévistes ne sont ni « nihilistes », ni « jusqu’au-boutistes ». Ils sont tout simplement excédés par l’état dans lequel ce dossier éminemment sociétal se trouve. Ni l’école telle qu’elle est aujourd’hui n’honore leurs ambitions, ni leur situation ne leur permet d’assumer l’échec des politiques publiques menées en la matière. D’où la question lancinante de « dignité » remise sur le tapis par les concernés qui rejettent un statut unifié qui, au prix de négociations qu’ils considèrent comme un simulacre, n’a été que gelé en lieu et place d’un abandon pur et simple.
En matière de rhétorique, il faut croire que la logique nourrie par le responsable gouvernemental pèche à bien des égards. En affirmant que la grève est un droit constitutionnel au même titre que celui des élèves à avoir accès à une éducation de qualité, le ministre va vite en besogne en mettant dos-à-dos des « partenaires » dans l’acte d’éducation et non pas des adversaires. Peut-on imaginer une école sans enseignants et des classes sans élèves ? En insistant sur le fait que le ministère a pris un certain nombre de mesures contre quiconque qui porterait atteinte au droit des étudiants à l’apprentissage, le responsable se défausse d’un véritable problème qui appelle à être mieux géré. Les coordinations sciemment écartées de la table des négociations ne sont-elles par le produit de la société marocaine ? Celle qui a consacré une certaine défiance que le ministre qui fut chargé de négocier le Nouveau modèle de développement n’ignore certainement pas. Et comme pour assener le coup de grâce, le ministre s’est abaissé jusqu’à l’argumentation par l’anecdotique en soulignant que certains enseignants n’ayant pas participé à la grève ont été victimes d’insultes verbales, de harcèlement et d’attaques. Un brin plus fort, on aurait pu entendre de la bouche d’un responsable que les grévistes seraient des enragés. Voire des « étourdis », comme l’a immortalisé en son temps la chronique politique lors d’une sortie des plus ratés d’un ancien argentier…
En montant au tableau, le responsable a même estimé que le gouvernement a adopté « une approche flexible pour faire face à la retenue sur les salaires des professeurs en grève ». Flexibilité qui consiste à conditionner le rétablissement des salaires ponctionnés au retour à l’école. En terme de proactivité, on fait mieux. La logique de la carotte ou le bâton n’étant pas bonne conseillère… Et le coup de maître joué par C. Benmoussa est bien celui qui a rappelé que l’Exécutif a ouvert un dialogue sectoriel responsable qui a conduit à l’amélioration de la situation financière des femmes et des hommes de l’éducation nationale, dans le but de répondre aux attentes de cette catégorie compte tenu de l’échec de la mise en œuvre d’un certain nombre de promesses accumulées au fil des années. A titre d’exemple, le salaire initial d’un enseignant du primaire, qui était de l’ordre de 5.100 dirhams, passera à 6.600 dirhams, soit une augmentation de 30%, après la récente revalorisation approuvée par le gouvernement. Un tantinet didactique, il a jugé bon de faire l’impasse sur l’enveloppe globale consentie pour revaloriser les émoluments des enseignants chiffrée à 10 milliards de Dh. Pourtant, chacun sait que le nœud de l’affaire n’est pas totalement d’ordre pécunier. Et quand bien même on y regarde de plus près, l’effort budgétaire verse plus dans les économies de bout de chandelle qu’autre chose. Les moyens à mobiliser pour l’école, ne serait-ce que par égard pour l’état dans lequel se trouve le pays au niveau de l’IDH, méritent bien plus que ce qui a été entrepris. A charge pour le gouvernement de faire preuve d’une meilleure intelligence dans les allocations budgétaires, mais aussi dans la récolte des impôts.
A ce rythme-là, la crise est appelée à perdurer dans l’enseignement. Ce qui n’a pas empêché le ministre de détailler ce qu’il a appelé « plan national intégré pour contrer la perte de temps scolaire ».
Ledit plan s’appuie sur trois principes fondamentaux. Le premier axe met en avant l’importance des contenus, des compétences et des orientations pédagogiques essentiels, spécifiquement ciblés pour chaque niveau d’études. Le deuxième a pour objectif d’assurer l’égalité des opportunités entre tous les élèves, qu’ils soient du secteur public ou privé, avec une attention particulière portée aux niveaux d’accréditation. Enfin, le troisième axe vise à garantir la fluidité du processus de mise en œuvre, adapté au rythme d’apprentissage des élèves.
La logique exige que le trimestre perdu soit compensé autrement que par des solutions expéditives. Les enseignants en sont conscients. C’est pourquoi ils conditionnent leur retour en classe par des prérequis que C. Benmoussa est appelé à assimiler au mieux pour éviter une année blanche. Les revendications fondamentales toujours en suspens. Et l’association des coordinations dans le dialogue. La démocratie participative gagnerait en grade… Osera-t-il y aller franco ? Le courage politique l’exige.