L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a accusé le 27 janvier le gouvernement syrien d’avoir mené une « attaque au chlore », dans laquelle 43 personnes avaient péri à Douma le 7 avril 2018. Damas a immédiatement rejeté ces « conclusions fallacieuses » et accusé l’OIAC de manquer de « preuves scientifiques », selon un communiqué du ministère syrien des Affaires étrangères rendu public le 28 janvier.
Selon le rapport des enquêteurs de l’OIAC, « il existe des motifs raisonnables de croire » qu’au moins un hélicoptère de l’armée de l’air syrienne a largué deux barils de gaz toxique sur la ville de Douma, près de Damas, durant la guerre civile. Les largages auraient eu lieu, selon le rapport, « sur deux immeubles résidentiels dans une zone habitée par des civils à Douma, tuant 43 personnes identifiées et affectant des dizaines d’autres ».
Les enquêteurs disent avoir analysé des échantillons prélevés sur les lieux, interrogé des survivants et des témoins et effectué des tests balistiques, notamment des « essais de chute de cylindre ». Ils assurent aussi avoir examiné des preuves vidéo et photographiques, des images satellite, des schémas informatiques et sollicité des experts. « Il y a des motifs raisonnables de croire que les forces aériennes arabes syriennes sont les auteurs de l’attaque aux armes chimiques […] à Douma », a déclaré l’OIAC, précisant que ces « motifs raisonnables » étaient la norme de preuve utilisée par les enquêtes internationales et les organes d’établissement de faits. Damas et Moscou affirment depuis le début que l’attaque du 7 avril 2018 avait été mise en scène par des secouristes, les Casques blancs, à la demande des Etats-Unis, qui ont lancé des frappes aériennes sur la Syrie quelques jours plus tard avec le Royaume-Uni et la France.
L’OIAC, qui assure que son équipe « a méticuleusement examiné les pistes d’enquête et les scénarios suggérés par les autorités syriennes et d’autres Etats parties », a rejeté les allégations selon lesquelles les rebelles et les Casques blancs auraient mis en scène l’attaque en apportant des cadavres sur les lieux et de fausses bouteilles de chlore, faute d’avoir pu obtenir des « informations concrètes à l’appui ». Mais Moscou persiste. « En fait, les cylindres ont simplement été transportés par les faussaires des Casques blancs dans un immeuble résidentiel et n’auraient pas pu être lâchés depuis un aéronef », peut-on lire dans un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères publié le 30 janvier sur son site.
L’affaire avait par ailleurs suscité la controverse après une fuite d’informations selon lesquelles d’anciens employés de l’OIAC, basée à La Haye, avaient mis en doute les conclusions d’une enquête antérieure. En outre, Damas nie l’utilisation d’armes chimiques et assure avoir remis ses stocks dans le cadre d’un accord de 2013, provoqué par une attaque présumée au gaz sarin qui a tué 1 400 personnes à Ghouta, une banlieue de la capitale.
La Russie opérait à partir de la même base aérienne au moment des événements de Douma et travaillait en « proximité spéciale » avec l’unité des Forces du Tigre, mise en cause dans le rapport, mais rien ne prouve l’implication d’autres pays que la Syrie, selon l’OIAC. Dans son communiqué, la diplomatie russe qualifie le rapport de l’OIAC d’ « ouvrage falsifié », « en violation des principes de la Convention sur les armes chimiques et de la Charte des Nations unies ». Moscou accuse le groupe d’enquêteurs d’avoir « été chargé par les Etats-Unis et leurs alliés de déterminer « les coupables » de l’utilisation d’armes chimiques ».
La Russie dénonce par ailleurs ce rapport d’être « politisé » et de servir les intérêts d’Etats qui se sont déclarés en « guerre collective » contre Moscou. « Nous appelons la Fédération de Russie à arrêter de protéger la Syrie [des conséquences] de sa responsabilité dans l’usage d’armes chimiques », déclarent pour leur part dans un communiqué commun les ministres américain, britannique, français et allemand des Affaires étrangères. « Toute la désinformation du monde ne pourra dissimuler le rôle qu’a joué le Kremlin dans l’encouragement du régime de [Bachar al-] Assad », ajoutent-ils. Les droits de vote de la Syrie à l’OIAC ont été suspendus en 2021 en raison du refus de Damas de coopérer après avoir été accusé de nouvelles attaques chimiques.