« Ce sont des déclarations incendiaires comme celles de Zelensky qui rendent si difficile le règlement de cette guerre » a fustigé ce 23 avril sur Truth Social Donald Trump. « Cette déclaration est très préjudiciable aux négociations de paix avec la Russie dans la mesure où la Crimée a été perdue il y a des années sous les auspices du président Barack Hussein Obama, et ne constitue même pas un sujet de discussion », a poursuivi le président américain.
La publication de ce message cinglant du locataire de la Maison Blanche survient alors qu’une réunion quadripartite – entre Kiev et plusieurs de ses alliés occidentaux – se déroule à Londres. Initialement prévue au niveau ministériel, cette réunion impliquant les chefs de la diplomatie américaine, britannique, française et ukrainienne et devant porter sur les pourparlers de paix a été « reportée », avait annoncé mercredi matin le Foreign Office dans un communiqué cité par The Guardian.
Le ministère britannique des Affaires étrangères avait alors évoqué des discussions au niveau « des conseillers de premier rang » et « fermées aux médias ». En cause, a rapporté à l’agence Reuters une source proche des discussions : l’annulation de la venue du chef de la diplomatie américaine après que la partie ukrainienne a adressé le 22 avril aux Européens un document dans lequel elle stipule son refus de négocier sur des questions territoriales avant « un cessez-le-feu complet et inconditionnel ». « Il n’y a rien à dire, c’est contraire à notre Constitution. C’est notre territoire, le territoire du peuple ukrainien. » avait martelé, le même jour, V. Zelensky concernant une éventuelle reconnaissance par Washington de la souveraineté russe sur la Crimée. Celui-ci avait avancé que, dès lors que les négociations abordaient « la Crimée et nos territoires souverains », celles-ci entraient « dans le format souhaité par la Russie ».
Une sortie de V. Zelensky, face à la presse, sur laquelle a rebondi D. Trump. « Personne ne demande à Zelensky de reconnaître la Crimée comme territoire russe » a cinglé le président américain, avant d’ajouter : « s’il veut la Crimée, pourquoi ne se sont-ils pas battus pour elle il y a onze ans, lorsqu’elle a été rétrocédée à la Russie sans coup férir ? ». « Il n’a pas de quoi se vanter ! La situation de l’Ukraine est désastreuse : il peut avoir la paix ou se battre encore trois ans avant de perdre tout le pays » a encore lancé D. Trump sur son réseau social.
Lors de son déplacement à Paris, à l’occasion d’un ballet diplomatique auquel avait participé une délégation américaine emmenée par Marco Rubio, le chef de la diplomatie des États-Unis avait laissé entendre qu’il pourrait se rendre à Londres s’il le jugeait utile. D’après le Washington Post, citant trois sources, la proposition US de reconnaître la souveraineté russe sur la Crimée aurait alors été « présentée à l’Ukraine », tout comme celle de lever – à terme, dans le cadre d’un cessez-le-feu – les sanctions contre la Russie en échange d’un arrêt des hostilités de la part de Moscou. Au lendemain de cette rencontre à Paris, M. Rubio avait déclaré à la presse qu’il était temps de « déterminer », dans les prochains « jours », si la paix était « faisable » en Ukraine, soulignant que les États-Unis avaient « d’autres priorités ».
M. Rubio snobe Londres
L’absence remarquée de plusieurs hauts responsables occidentaux, notamment du secrétaire d’État américain et de ses homologues européens, a fortement affaibli la portée de la rencontre. Selon Sky News, les ministres des Affaires étrangères de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni ont tous annulé leur venue à la suite du retrait américain.
D’après The Telegraph, le plan américain comprend sept points, dont l’arrêt immédiat des hostilités, l’ouverture de négociations directes entre Moscou et Kiev, et le refus de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, en contrepartie d’une possible intégration à l’Union européenne. Le plan propose aussi la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée ainsi que le contrôle de facto des territoires libérés par Moscou. Il prévoit également le transfert de la centrale nucléaire de Zaporojié sous gestion US, un accord sur les ressources minières entre Washington et Kiev, et enfin, une levée totale des sanctions américaines contre la Russie en échange d’un nouveau partenariat énergétique. Le retrait de M. Rubio, confirmé par le New York Times, fait suite au refus catégorique de V. Zelensky de reconnaître la Crimée comme territoire russe. « L’Ukraine ne reconnaîtra jamais juridiquement l’occupation de la Crimée. C’est contraire à notre Constitution », a-t-il affirmé, ce qui a précipité l’annulation de la venue de plusieurs responsables à Londres, dont Steve Witkoff. Malgré ces absences, la délégation américaine sera représentée par le général Keith Kellogg, envoyé spécial de D. Trump. « Keith Kellogg sera présent à la réunion, et la rencontre avec les Américains aura donc lieu. Il y aura d’autres réunions avec les Européens, différentes réunions », a affirmé cette source à l’AFP sous couvert d’anonymat. Selon l’agence de presse, une première réunion bilatérale a bien eu lieu entre le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andriy Sybiha, et son homologue britannique David Lammy. Mais comme le souligne le Financial Times, l’importance de la réunion s’en est trouvée fortement réduite. Toujours selon le Financial Times, le retrait US pourrait ouvrir une brèche diplomatique. La possible reconnaissance officielle de la Crimée par Washington déclencherait une crise majeure au sein de l’Union européenne et de l’OTAN, où toute concession sur ce point est strictement rejetée. Ce possible revirement intervient alors que, selon le Washington Post, le président Trump cherche à imposer un accord rapide avant de se retirer totalement du processus si les conditions ne sont pas acceptées. Le vice-président américain J.D. Vance a confirmé cette ligne dure en déclarant que « soit les parties acceptent l’offre américaine, soit les États-Unis quitteront le processus de négociation ». Dans ce contexte, la Russie maintient sa ligne. Le ministère russe des Affaires étrangères a rappelé à maintes reprises que tout déploiement militaire de l’OTAN en Ukraine, peu importe sous quel drapeau, serait considéré comme une menace par Moscou. Le président Vladimir Poutine a exprimé une certaine ouverture au dialogue, notamment dans le cadre de la trêve de Pâques prolongée, mais tout en maintenant que les conditions proposées par les États-Unis nécessitaient une analyse approfondie. La rencontre de Londres, malgré son déclassement, pourrait néanmoins préparer le terrain à une phase de transition dans les négociations internationales. Le déplacement prévu de S. Witkoff à Moscou dans les jours à venir montre que le véritable dialogue stratégique pourrait désormais se jouer directement entre Washington et Moscou.
Les Européens dans le flou
Il faut dire que le retour de D. Trump à la Maison Blanche n’a pas fait que secouer le monde économique. Les milieux du renseignement européens semblent aussi se débattre pour tenter de comprendre les signaux envoyés par Washington quant aux orientations américaines de renseignement. Un article du site Le Monde paru mardi 22 avril pointe le manque de visibilité sur les orientations des États-Unis depuis le retour de Trump au pouvoir. Une situation jugée « très inconfortable » par l’establishment européen.
Pour les services de renseignements, la difficulté réside dans le fait d’adopter une nouvelle stratégie apte à compenser l’apport américain en matière de renseignement. Le Monde cite plusieurs sources diplomatiques, militaires et sécuritaires qui ont fait part du « choc » causé notamment par la suspension du soutien à l’Ukraine en matière de renseignement par le Pentagone, trois jours durant, entre les 5 et 8 mars derniers, « au point de susciter des réflexions inédites entre alliés » affirme la même source.
Si les cercles européens de réflexion en matière de renseignement s’accordent sur le fait de maintenir la coopération avec les Américains, l’idée de mettre en place une « appréciation autonome » revient aussi en force à la lumière des événements récents et du manque de visibilité sur le cap adopté par les États-Unis. Pour ne rien arranger, la publication faite le 25 mars dernier de l’évaluation annuelle de la menace 2025 (Annual Threat Assessment), un rapport de doctrine non classifié, issu du bureau du directeur du renseignement national, a placé la lutte contre le trafic de drogue à la tête des priorités du renseignement américain. Pour l’Europe, cette nouvelle priorité américaine augmente les risques d’un « nouvel isolationnisme américain ».
En ce qui concerne la Russie, l’évaluation annuelle de la menace 2025 semble adopter les arguments russes concernant les risques liés à la guerre en Ukraine dans la mesure où la poursuite du conflit induit des « risques stratégiques pour les États-Unis d’une escalade involontaire vers une guerre à grande échelle, de l’utilisation potentielle d’armes nucléaires ».
Face à cette situation, les services européens disposent de la possibilité de développer une architecture de renseignement sur le modèle des « Five Eyes », qui met à profit les capacités d’interception des États-Unis, du Canada, de l’Australie, du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande, explique Le Monde. Or, à l’heure actuelle, les réflexions sont confinées au niveau d’une densification des opérations en coopération entre les pays les plus volontaires. Pour aller encore plus loin dans cette piste, il est nécessaire d’accélérer le développement de la surveillance par satellite et s’assurer la coopération des ténors de la technologie ; mais pour l’heure, les ressources financières nécessaires à l’application de cette idée ne sont pas à la hauteur.