Nul ne s’attend, ni du côté américain ni du côté chinois, à une quelconque percée diplomatique majeure à l’occasion de cette visite. Atmosphère qui rappelle, à bien des égards, le déplacement effectué par le chef de la diplomatie US à Pékin dans le sillage de ce qu’il est convenu d’appeler « ballons espions » que les Chinois auraient utilisé pour cartographier les sites sensibles en territoire américain. En tout cas, Xi Jinping, a appelé une fois de plus l’armée chinoise à se préparer à la guerre réelle…
C’est dans ce climat assez chargé entre Américains et Chinois, le dossier de Taïwan n’est jamais loin, que la secrétaire au Trésor US devrait rencontrer à Pékin, la nouvelle équipe issue du 20ᵉ congrès du Parti communiste chinois (PCC), les hommes de Xi Jinping, dont He Lifeng, vice-Premier ministre chargé des négociations avec les États-Unis. J. Yellen est appréciée en Chine depuis sa prise de distance le mois dernier avec ceux qui, au Capitole, prônent le découplage avec la Chine. Une option selon elle « désastreuse ». La Chine, qui tente de relancer son économie, a applaudi des deux mains cette déclaration.
Sur la table des négociations pour la partie chinoise, la levée des restrictions US à l’exportation de hautes technologies. Juste avant l’arrivée de la secrétaire au Trésor et de manière à peser dans ce bras de fer, Pékin a annoncé la limitation de ses exportations de gallium et germanium, deux métaux rares qui entrent dans la fabrication des semi-conducteurs et des panneaux solaires.
Dès lors, chacun met l’accent sur la sécurité nationale avant les avancées économiques.
Et Pékin risque d’être déçu dans ses attentes d’après le Wall Street Journal qui rappelle que la Maison Blanche, après avoir restreint la vente de puces électroniques avancées à la Chine, songerait à brider l’accès aux services « cloud » informatique basés aux États-Unis.
Ce voyage, prévu jusqu’à dimanche 9 juillet, est le premier en Chine de J. Yellen depuis qu’elle est à ce poste. Vendredi, elle doit être reçue par le Premier ministre Li Qiang et doit s’entretenir avec l’ex-vice-Premier ministre Liu He.
La secrétaire américaine au Trésor doit également participer à un dîner organisé par l’ancien gouverneur de la Banque centrale chinoise Zhou Xiaochuan.
Les analystes parient également sur un échange avec le nouveau vice-Premier ministre chinois, H. Lifeng, nommé en mars dernier.
Le fait que J. Yellen « passe quatre jours à Pékin, dans un contexte de fortes pressions tant intérieures qu’internationales, souligne l’importance qu’elle porte à cette visite », commente Wendy Cutler, vice-présidente de l’Asia Society (ASPI), cercle de réflexion basé aux États-Unis. Si les sujets de mécontentement ne manquent pas de part et d’autre et laissent peu de marge de manœuvre, la visite doit permettre de poser les bases d’une coopération à venir, selon W. Cutler.
Quoi qu’il en soit, Washington n’a pas vu venir les restrictions chinoises sur l’exportation de terres rares, nécessaires à la fabrication de puces électroniques, explique à Sputnik le géo-politologue Thomas W. Pauken. Les restrictions sur l’exportation de gallium et de germanium mettent Washington en délicatesse dans la guerre des puces électroniques, ces deux composants étant indispensables à leur fabrication, a expliqué le géopolitologue américain.
Ironiquement, les États-Unis se sont mis eux-mêmes en difficulté, en frappant les premiers et en renforçant les contrôles à l’exportation sur l’achat de puces avancées, en octobre. Des sanctions présentées à l’époque comme une victoire côté américain, mais qui entraînent aujourd’hui ces contre-mesures chinoises sur les terres rares, souligne Thomas W. Pauken. « Il est plutôt risible que l’administration Biden ait pensé pouvoir gagner cette guerre technologique. Si vous n’avez pas accès aux terres rares, si vous n’avez pas accès aux chaînes d’approvisionnement pour produire ces appareils électroniques, vous êtes totalement détruits, vous êtes dévastés, les États-Unis le savaient. Ils savaient à quel point ils dépendaient des terres rares. Ils savaient à quel point ils devaient compter sur la Chine pour relocaliser leurs usines », explique-t-il ainsi.
C’est donc bien la Chine qui tient les meilleures cartes dans cette confrontation, souligne T. W. Pauken. L’Empire du Milieu contrôle 63% de l’extraction mondiale de terres rares et 78% de ces matériaux importés aux États-Unis viennent de Chine, rappelait d’ailleurs une étude de l’US Geological Survey de 2022.
Malgré ces données objectives, l’administration Biden s’est entêtée dans la confrontation, en favorisant le découplage économique avec la Chine et en limitant les ventes de semi-conducteurs sophistiqués. Un coup assez bien encaissé par Pékin, qui met désormais en place ses propres chaînes d’approvisionnement en puces et peut même se permettre de sanctionner certains fabricants américains, comme l’a prouvé l’affaire Micron.
L’escalade américaine, qui passe également par les sanctions contre le géant chinois Huawei ou les menaces sur le réseau TikTok, symbolise donc la politique « incohérente et enfantine » de l’administration Biden. De sanctions en contre-sanctions, le découplage risque de coûter cher aux industries américaines, affirme l’expert. « S’ils continuent cette politique de découplage de la Chine, cela ne fera que les pénaliser de plus en plus durement. Je ne sais pas commentils pensaient pouvoir frapper la Chine et ne pas connaître de riposte. C’est la réciprocité de base. Si vous frappez un pays avec des barrières commerciales, celui-ci va réagir avec ses propres barrières », explique-t-il.
Certaines voix commencent d’ailleurs à s’élever aux États-Unis contre les politiques agressives de Washington en matière de puces électroniques. Les restrictions contre Pékin ne l’empêcheront pas de se doter de ses propres puces avancées, avait révélé en mars Bill Gates, fondateur de Microsoft.