Le putsch militaire au Niger, où Orano exploite toujours une mine d’uranium, rappelle la nécessaire diversification des sources d’approvisionnement de ce minerai indispensable au fonctionnement des centrales nucléaires, un processus engagé depuis des années par les exploitants.
Ce week-end, le président français Emmanuel Macron a assuré que Paris « ne tolérerait aucune attaque contre la France et ses intérêts » dans ce pays, secoué par l’instabilité politique depuis qu’un putsch militaire a renversé le président Mohamed Bazoum la semaine dernière. Sur le plan économique, peu d’entreprises françaises sont présentes au Niger, mis à part le groupe Orano (ex-Areva), qui y exploite encore une mine d’uranium dans le nord.
Le groupe, spécialisé dans le cycle du combustible nucléaire et qui emploie quelque 900 salariés dans le pays — essentiellement du personnel local —, a indiqué jeudi suivre de très près la situation, mais s’est voulu rassurant. « La crise actuelle n’a aucune incidence de court terme sur les capacités de livraison d’Orano à la France et à ses clients internationaux », a précisé lundi à l’AFP la direction du groupe, en relativisant sa dépendance au Niger « grâce à une production et des projets en développement sur (…) quatre continents ».
Le Niger représentait en 2021 4,7% de la production mondiale d’uranium naturel loin derrière le Kazakhstan (45,2%), selon l’Agence d’approvisionnement d’Euratom (ESA). En 2022, « le Niger était le deuxième fournisseur d’uranium naturel de l’UE, avec une part de 25,38% » contribuant à la fabrication du combustible destiné aux quelques 103 réacteurs en activité dans 13 pays membres de l’UE, dont la moitié sont en France (56 réacteurs), a indiqué lundi à l’AFP Euratom. Au total, le Kazakhstan, le Niger et le Canada ont fourni 74,19 % de l’uranium naturel de l’UE.
Sur la période 2005-2020, le Niger a été le troisième fournisseur d’uranium naturel à la France, contribuant pour 19% de ses approvisionnements, derrière le Kazakhstan et l’Australie et devant l’Ouzbékistan, selon des données du comité technique Euratom. Pour ce minerai, le Niger « n’est plus le partenaire stratégique de Paris comme il a pu l’être dans les années 1960-70 », a commenté à l’AFP Alain Antil, directeur du centre Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
« La situation au Niger ne présente aucun risque sur la sécurité d’approvisionnement de la France en uranium naturel », a affirmé de son côté à l’AFP le ministère de la Transition énergétique, en précisant que l’exploitant nucléaire français EDF s’était attaché à diversifier ses sources d’approvisionnement. L’exploitant nucléaire EDF « a depuis une bonne dizaine d’années suivi une stratégie de diversification de son portefeuille d’approvisionnement », se tournant « vers des pays d’Asie centrale comme l’Ouzbékistan et le Kazakhstan et l’Australie », souligne Teva Meyer, chercheur spécialiste du nucléaire civil à l’université de Haute Alsace à Mulhouse.
La diversification des matières nucléaires est l’une des recommandations récurrentes et de longue date de l’Agence d’approvisionnement d’Euratom. « Les événements politiques et économiques de 2021 et du début de 2022″, avec notamment la guerre en Ukraine menée par la Russie », acteur majeur de l’uranium, ont de fait « souligné la pertinence et l’urgence des recommandations de l’ESA », soulignait l’agence européenne dans son rapport 2021 d’août 2022. « Dans l’ensemble » dans l’UE, les livraisons d’uranium naturel « sont bien diversifiées, mais un certain nombre de services publics achètent leur l’uranium auprès d’un seul fournisseur », selon ce rapport.
Au-delà de cette politique de diversification, le groupe français EDF a mis en œuvre « une politique de gestion des stocks couvrant plusieurs années et développe le recyclage du combustible usé », ajoute le ministère. « On a trois ans de combustible enrichi sur notre territoire (en France) donc il n’y a aucun risque d’approvisionnement », souligne aussi Nicolas Goldberg, expert en énergie du cabinet Colombus Consulting.
« Entre le moment où l’uranium est extrait et le moment où il est utilisé en combustible dans une centrale, il peut se passer des années car les étapes de transformation sont nombreuses », explique T. Meyer. Pour être utilisable dans un réacteur, l’uranium naturel doit en effet être purifié, converti et enrichi. « La France comme l’Europe dispose en outre de stocks stratégiques d’uranium à toutes les étapes de la transformation, l’équivalent de deux années de consommation », assure l’expert.
Situation fragile
Pour rappel, les militaires nigériens ont accusé la France de vouloir « intervenir militairement » pour le rétablir dans ses fonctions, indique un communiqué lu lundi à la télévision nationale. « Dans sa ligne de conduite, allant dans le sens de la recherche des voies et moyens pour intervenir militairement au Niger, la France, avec la complicité de certains Nigériens, a tenu une réunion à l’état-major de la Garde nationale du Niger, pour obtenir des autorisations politiques et militaires nécessaires », affirme le communiqué.
Dans un autre communiqué, les putschistes accusent « les services de sécurité » d’une « chancellerie occidentale », sans préciser laquelle, d’avoir tiré la veille à Niamey du gaz lacrymogène sur des manifestants soutenant la junte, avec « pour conséquence six blessés, pris en charge par les hôpitaux » de la capitale. Emmanuel Macron, actuel hôte de l’Elysée, a menacé dimanche de répliquer « de manière immédiate et intraitable » à toute attaque contre les ressortissants de la France et ses intérêts au Niger, où des milliers de manifestants favorables au putsch militaire ont ciblé son ambassade à Niamey. Certains ont voulu y entrer, avant d’être dispersés par des grenades lacrymogènes. Une plaque affichant « Ambassade de France au Niger » a été arrachée, avant d’être piétinée et remplacée par des drapeaux russes et nigériens, rapporte l’AFP.
Le Niger est un partenaire stratégique de la France, qui compte actuellement quelque 1 500 militaires dans ce pays clé dans la lutte antidjihadiste et fournissant par ailleurs 20% de l’uranium européen.
La pression s’accroît chaque jour un peu plus sur le nouvel homme fort proclamé du Niger, le général Abdourahamane Tiani, chef de la garde présidentielle, à l’origine de la chute de M. Bazoum retenu par les putschistes depuis quatre jours. La France a salué « les décisions prises par les chefs d’Etat » de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Ce bloc ouest-africain, l’Union africaine et les pays occidentaux, dont la France et les Etats-Unis, ne reconnaissent pas les « autorités » issues du putsch et demandent un retour à l’ordre constitutionnel.
Un sommet extraordinaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (dont le Niger est membre avec 14 autres pays) s’est tenu le 30 juillet à Abuja, sous l’égide de Bola Tinubu, président du Nigeria, à la tête de l’institution régionale depuis le début du mois. La Cedeao a exigé « la libération immédiate » du président déchu et le « retour complet à l’ordre constitutionnel », selon les résolutions lues à la fin du sommet. Si ces demandes ne « sont pas satisfaites dans un délai d’une semaine », la Cedeao « prendra toutes les mesures nécessaires » et « ces mesures peuvent inclure l’usage de la force », selon ces résolutions.
Washington a fait part de son « indéfectible soutien » à M. Bazoum, assurant que le coup d’Etat mettait en péril le « partenariat » entre les USA et le Niger. « Nous nous joignons à la Cedeao et aux dirigeants de la région pour demander la libération immédiate du président Mohamed Bazoum et de sa famille et la restauration de toutes les fonctions de l’État au gouvernement légitime et démocratiquement élu », a déclaré Antony Blinken, secrétaire d’Etat américain ; dans un communiqué. L’organisation régionale a également décidé de « suspendre toutes les transactions commerciales et financières » entre ses Etats membres et le Niger, et de geler les avoirs des responsables militaires impliqués dans la tentative de coup.
Le pays sahélien de 20 millions d’habitants est l’un des plus pauvres du monde, en dépit de ses ressources en uranium. « Il n’est plus temps pour nous d’envoyer des signaux d’alarme », a déclaré Bola Tinubu, « le temps est à l’action ». « Les sanctions feront très mal à notre pays », a répété le Premier ministre nigérien Ouhoumoudou Mahamadou, dans un entretien accordé à la chaîne France 24 le 30 juillet. Il s’est dit « optimiste » sur les médiations en cours. Mahamat Idriss Déby Itno, dirigeant du Tchad, dont le pays n’est pas membre de la Cedeao, mais qui est voisin du Niger, également puissance militaire au Sahel alliée de la France, a participé à ce sommet. Il a ensuite passé quelques heures à Niamey, pour voir ce qu’il pouvait apporter au règlement de la crise, selon N’Djamena. Pendant sa médiation, il a échangé avec M. Bazoum, dont il a publié une photo sur sa page Facebook, première image du président nigérien depuis le putsch. Assis à côté du président tchadien, M. Bazoum apparaissait souriant. I. Déby Itno s’est aussi « entretenu avec Abdourahamane Tiani et lui a transmis un message de la Cedeao », selon l’entourage de M. Bazoum. L’ex-président du Niger Mahamadou Issoufou a également annoncé le 30 juillet qu’il s’employait à « trouver une sortie de crise négociée » pour faire « libérer » son successeur M. Bazoum, et « le restaurer dans ses fonctions ».
La junte au pouvoir à Niamey avait dénoncé le sommet de la Cedeao, y voyant la menace d’une « intervention militaire imminente à Niamey en collaboration avec les pays africains non membres de l’organisation et certains pays occidentaux ». Après le Mali et le Burkina Faso, le Niger, miné par les attaques de groupes liés à l’Etat islamique et à Al-Qaïda, est le troisième pays de la région à subir un coup d’Etat depuis 2020.