«Le gouvernement de la République du Mali informe l’opinion nationale et internationale que ce jour […] l’ambassadeur de France à Bamako, son excellence Joël Meyer, a été convoqué par le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale [et] qu’il lui a été notifié la décision du gouvernement qui l’invite à quitter le territoire national dans un délai de 72 heures», a annoncé ce 31 janvier un communiqué lu par la télévision publique. Les autorités maliennes ont justifié cette décision par les récentes déclarations «hostiles» de responsables français à leur encontre.
Cette convocation marque un nouveau durcissement des tensions entre le Mali et la France, l’ancienne puissance coloniale engagée militairement au Mali et au Sahel depuis 2013. Les relations n’ont cessé de se détériorer depuis que des colonels ont pris par la force en août 2020 la tête de ce pays plongé depuis 2012 dans une profonde crise sécuritaire et politique.
Le 28 janvier sur la radio RTL, Jean-Yves Le Drian, chef de la diplomatie française, avait notamment reproché aux militaires au pouvoir de manquer de légitimité. «C’est la junte […] qui [a] pris le pouvoir et qui [a] fait un double coup d’Etat depuis août 2020 qui est illégitime», a ainsi déclaré le ministre français, reprochant au gouvernement malien sa volonté de reporter l’organisation des élections au nom de considérations sécuritaires.
Le ministre des Affaires étrangères avait également dénoncé des liens présumés entre le pouvoir malien et la Russie. «Il y a un autre aspect très préoccupant, [c’est] la rupture du cadre militaire, on voit le Mali faire appel à une milice privée russe proche de Poutine qui se sert directement sur les ressources propres du Mali», avait lancé J-Y. Le Drian, en dépit d’un récent démenti de Bamako concernant un déploiement de la société de sécurité privée Wagner.
Les tensions se sont récemment accrues entre Paris et Bamako. Le 26 janvier, le ministre et porte-parole du gouvernement malien Abdoulaye Maïga avait ainsi donné pour «conseil» de se taire à la ministre française des Armées Florence Parly, après que celle-ci a accusé les autorités maliennes de multiplier les «provocations». Pour rappel, les relations entre Paris et Bamako se sont fortement détériorées depuis que les militaires au pouvoir ont décidé de repousser la date prévue des élections qui auraient ramené les civils à la tête du Mali. Ils ont fait valoir qu’il était actuellement impossible d’appeler les Maliens aux urnes du fait de l’insécurité persistante sur un territoire dont les deux tiers échappent au contrôle des autorités. Les militaires au pouvoir réclament le temps de mener à bien des réformes essentielles selon eux et d’organiser des élections incontestables.
Outre la France, la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) a réagi à cette décision, en infligeant de sévères sanctions au Mali.
Intérêts français menacés
Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères malien, estime que l’hostilité de la France à l’égard des militaires au pouvoir s’explique par le fait que ceux-ci menacent les intérêts de l’Hexagone, à la fois dans le pays et la région.
Lors d’un déplacement à Bruxelles le 28 janvier, A. Diop, a fustigé les récentes critiques formulées par la France envers les militaires au pouvoir dans le pays. «Tout ça parce qu’on a touché à leurs intérêts», a-t-il expliqué dans une vidéo dont l’authenticité a été confirmée par les autorités maliennes. Selon le ministre, c’est la décision de ne pas tenir des élections en février qui est contraire aux intérêts de la France et qui explique son animosité. Et de préciser que les partisans de la tenue d’élections le 27 février, date initialement envisagée, souhaitent que «les mêmes personnes reviennent prendre le pouvoir». Le ministre a accusé la France d’avoir applaudi des coups d’Etat par le passé : «La France, qui dit qu’elle défend la démocratie, elle est allée dans d’autres pays, elle a installé des chefs d’Etats qui ont fait des coups».
Les relations entre la France et son ancienne colonie se sont tendues Depuis six mois, la France a entamé un redéploiement de son dispositif militaire au Mali, en quittant ses trois bases les plus au nord. Ses effectifs, qui s’élevaient à plus de 5 000 militaires au Sahel, ont décru, avec l’objectif affiché de n’en garder que 2 500 à 3 000 d’ici 2023. Depuis janvier 2022, la tension a encore augmenté avec l’adoption par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) d’une batterie de sanctions sévères, fermant les frontières avec le Mali et mettant le pays sous embargo. Les sanctions, soutenues par la France, les Etats-Unis et l’Union européenne, ont été prononcées après l’annonce par les militaires au pouvoir de leur intention d’organiser la transition à un horizon de cinq ans.
Dans la vidéo, A. Diop a répondu que le Mali, en reportant les élections, «veut bâtir quelque chose de solide, pour demain et après-demain». Face aux accusations de Paris selon lesquelles les mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner soutiendraient les militaires maliens sous couvert de lutte anti-djihadiste, le ministre a rétorqué que le Mali et la Russie étaient depuis longtemps partenaires, notamment dans le domaine de la coopération militaire.