Face à la déstabilisation des marchés de l’énergie provoquée par la guerre en Ukraine et des prix « extraordinairement élevés et volatils », les gouvernements ont préféré protéger les consommateurs et les entreprises, observe l’agence. « Certaines de ces mesures peuvent être défendues comme (étant) nécessaires politiquement et socialement (…) mais l’ampleur de ces interventions est un signe inquiétant pour la transition énergétique », a-t-elle ajouté.
Outre un fardeau « significatif » sur les finances publiques, « ces dépenses font courir le risque de diminuer l’incitation à utiliser l’énergie efficacement ou à basculer vers des énergies propres », regrette encore l’AIE. Au total, « les subventions aux énergies fossiles ont doublé par rapport à l’année précédente » et atteint « le record de tous les temps de mille milliards de dollars », selon l’AIE.
Ces aides se sont concentrées surtout dans les pays émergents et les économies en développement mais les économies avancées n’ont pas fait exception, notamment l’Europe où les dépenses exceptionnelles allouées à la réduction des factures d’énergie en 2022 ont représenté environ 350 milliards de dollars.
Les subventions ont pris des formes variées : des prix administrés ou plafonnés, allègements de taxes, facilités de paiement ou interdictions de couper le gaz ou l’électricité en cas de non-paiement jusqu’à la recapitalisation d’entreprises, la suspension de dettes ou encore un soutien à des industries clés très énergivores, précise l’AIE. Les aides à la consommation de gaz et d’électricité ont plus que doublé, et celles au pétrole ont augmenté d’environ 85%.
L’Agence invite à tirer des leçons pour l’avenir. « Les prix des énergies fossiles ne sont pas le meilleur moyen de conduire à la transition vers des énergies propres » car ils détournent l’attention et l’argent des pouvoirs publics, voire poussent dans certains cas à revenir à des usages plus polluants, comme l’abandon du gaz au profit du charbon pour faire tourner des centrales, souligne-t-elle.« Il vaut mieux investir dans des changements structurels que dans des aides d’urgence », conclut l’agence qui recommande également de mieux calibrer les subventions pour cibler les plus pauvres, qui sont les plus affectés par les hausses de prix.
La situation des marchés du gaz était au cœur d’une réunion de quarante ministres ou responsables nationaux, qui ont soutenu mercredi la préparation d’ « actions coordonnées», notamment pour permettre un prochain «remplissage organisé » des stocks en Europe et limiter les impacts de la crise du gaz sur le reste du monde, selon l’Agence.
Cette visioconférence, première réunion spéciale sur le gaz convoquée par l’AIE de l’histoire récente, a passé en revue les mesures pouvant limiter les effets de cette crise nourrie par l’invasion russe en Ukraine, et soutenir les pays affectés, explique l’AIE dans un communiqué. Les pays représentés formaient environ la moitié de la demande gazière mondiale, de l’Australie à la Hongrie, la France, le Japon ou la Grande-Bretagne.
Leur « déclaration ministérielle » souligne notamment « la nécessité de coordonner les efforts destinés à atténuer le risque que la Russie se serve de l’énergie comme d’une arme de coercition politique ».
« La communauté internationale a été capable de répondre promptement (…) mais les manipulations de la part d’acteurs mal intentionnés vont persister au-delà de cet hiver. Et nous avons une occasion de préparer des options en vue d’une réponse coordonnée », a dit Jennifer Granholm, secrétaire américaine à l’Energie qui coprésidait la réunion.
Selon l’AIE, « des actions coordonnées sont en préparation pour soutenir une saison de remplissage des stocks de gaz organisée dans l’hémisphère Nord afin de renforcer la sécurité énergétique européenne et mondiale, améliorer l’accessibilité générale de l’énergie, minimiser les perturbations de l’approvisionnement, et favoriser des marchés transparents et compétitifs pour réduire (…) la volatilité des prix ».
La crise du gaz n’est de fait pas terminée. « Des mesures de court terme, telles que les capacités ajoutées en gaz naturel liquéfié (GNL), ont détendu les tensions sur l’approvisionnement. Mais toute une série de facteurs font que l’incertitude devrait se prolonger sur 2023 », prévient l’Agence, pour qui « l’hiver 2023-2024 sera probablement le vrai test ».
La consommation de gaz a fortement reculé en janvier dans plusieurs régions du monde, en particulier dans l’Union européenne (-19%) et au Royaume-Uni (-16%), a souligné un rapport du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF). Ce rapport qui s’inspire dans sa forme de celui que diffuse l’Opep, le cartel des pays exportateurs de pétrole, est le premier du genre pour ce groupe de pays producteurs de gaz formé autour du Qatar.
Dans cette première livraison mensuelle, il rappelle que « les conditions météo ont un impact significatif sur la consommation de gaz ». L’Union européenne a ainsi consommé 19% de gaz de moins qu’en janvier comparé à janvier 2022 à 40 milliards de m3, grâce notamment à des températures au-dessus des normales saisonnières qui ont minimisé la demande de chauffage, selon le rapport qui croise des sources diverses.
Les efforts d’économies d’énergie ont aussi freiné la consommation de gaz dans l’UE, les industriels se limitant pour leur part « en raison des prix élevés sur le marché européen », ajoute-t-il.
Même phénomène au Royaume-Uni, où le rapport signale comme facteurs de consommation en baisse de 16% à 7,4 milliards de m3, un hiver doux, des prix élevés et davantage de production d’électricité hydraulique (+32% en janvier sur un an), éolienne (+30%) et solaire (+3%). Dans l’Union européenne, le gaz utilisé dans des centrales électriques a diminué de 13% en janvier sur un an, au profit du charbon (+24%) et de l’hydraulique (+8%). Aux États-Unis, la clémence des températures et le ralentissement industriel sont évoqués pour expliquer une baisse de la consommation de gaz de 8,8% à 92 milliards de m3.
Le rapport passe aussi au crible plusieurs pays d’Asie, mais sur des bases de comparaisons hétérogènes. Il documente en revanche l’effondrement des livraisons russes par gazoducs (-55% en janvier) et la montée en puissance du gaz norvégien qui a fourni 47% des livraisons par gazoducs à l’UE en 2022.
Concernant le gaz naturel liquéfié, les importations mondiales se sont contractées en janvier pour la première fois depuis février 2021 (-1,4% sur un an à 36,7 millions de tonnes), sauf en Europe où les livraisons ont augmenté (+6% à 12,2 millions de tonnes) pour compenser le tarissement des gazoducs russes.