Le communiqué produit récemment par la Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR) pour attirer l’attention sur la situation des établissements pénitentiaires, fait des petits. En effet, après la mise en garde adressée par l’association des magistrats aux services de Mohamed Salah Tamek, le tour est venu pour la Présidence du ministère public de communiquer. Pour faire part à l’opinion publique de certains éclaircissements sur les facteurs et contraintes qui influent sur le nombre des pensionnaires des établissements pénitentiaires, Mohamed Abdennabaoui a produit un long communiqué explicatif.
Ainsi, l’évolution qualitative, ces dernières années, de la criminalité aussi bien sur le plan de la gravité des actes commis que des moyens utilisés ou la nature de leurs auteurs, surtout les récidivistes, avec leurs conséquences sur la quiétude du citoyen et la société, a contraint les parties chargées de l’application de la loi à faire face à tous ces phénomènes en vue d’assurer la sécurité des personnes et de préserver leurs biens, indique l’Institution. Dans ce contexte, les services de sûreté et la police judiciaire déploient et continuent toujours à consentir des efforts inlassables face aux hors-la-loi en vue de les appréhender et de les déférer devant les parquets compétents, ajoute le communiqué, notant que leur nombre s’est établi, durant le premier semestre de 2023, à 309.259 personnes poursuivies, dans leur grande majorité, pour trafic de drogues, hooliganisme et crimes financiers en rapport avec la lutte contre la prévarication financière ou encore l’agression des personnes dans le cadre de bandes criminelles, les vols qualifiés et autres crimes graves.
Les efforts considérables déployés par les services de la police judiciaire, toutes catégories confondues, ont permis l’interpellation, au cours du premier semestre de 2023, de 162.545 personnes faisant l’objet d’avis de recherche nationaux, qui ont été déférées devant les parquets compétents pour prendre les dispositions juridiques qui s’imposent à leur encontre, poursuit le Ministère public. De même, les parquets ont veillé à exécuter les jugements de peines privatives de liberté prononcées contre les condamnés en état de liberté, indique le communiqué, faisant observer que les services de la police judiciaire ont fourni des efforts remarquables pour l’arrestation des personnes condamnées et leur incarcération dans les établissements pénitentiaires concernés.
Il en était également le cas pour un ensemble de personnes faisant l’objet d’ordonnances de contrainte par corps pour non paiement des amendes, des dettes publiques ou privées qui leur étaient dues conformément à la Loi. « Il ne fait aucun doute donc que ces facteurs ont contribué à augmenter la population carcérale des établissements pénitentiaires », estime la Présidence du Ministère public.
Etant donné que la garantie de la sécurité et de la quiétude de tous les membres de la société, de leurs droits et de leur intégrité physique constitue l’une des priorités de la politique pénale, la Présidence du ministère public, en tant qu’autorité chargée de sa mise en œuvre, s’est employée à inciter les parquets à interagir, avec la responsabilité requise, avec les personnes déférées pour avoir commis des actes dangereux, en conciliant protection des citoyens et de leurs biens et préservation des droits et libertés des mis en cause, tout en prenant en considération la capacité d’accueil des établissements pénitentiaires. Conformément à cette orientation et conscients de la nécessité de rationaliser la gestion de la détention, les parquets ont veillé à n’y recourir que lorsque cela s’avère nécessaire, comme en témoigne le taux de détention qui n’a pas dépassé les 24% du total des individus déférés devant eux (309.259 personnes) durant le premier semestre de l’année en cours, un taux raisonnable par rapport à ceux élevés enregistrés dans d’autres pays, précise le communiqué.
Sur la base de ce qui précède, le nombre de personnes en détention préventive dans les établissements pénitentiaires a connu jusqu’en juillet 2023 une baisse qui s’est établie à 39% contre 40% au cours de la même période de l’année précédente et contrairement aux taux enregistrés à partir de 2010 qui variaient entre 38% et 47%. Ce pourcentage avait atteint 43% en 2010 et 47% en 2011, ce qui démontre que la gestion de la détention suit l’évolution de la criminalité.
Si les pourcentages enregistrés concernant les taux de détention préventive ne sont pas à la hauteur des objectifs de la Présidence du Ministère public, malgré les efforts consentis dans ce cadre, ils restent néanmoins acceptables par rapport aux taux de détention préventive dans certains pays de l’Union Européenne, selon les chiffres publiés par le Conseil de l’Europe au cours de l’année 2022, notamment les Pays-Bas (45,2%), la Belgique (38,4%), la France (28,5%), l’Italie (31,5%), le Danemark (41,3%) et le Luxembourg (43,3%), fait remarquer le communiqué.
Malgré la baisse du taux de détention au cours du premier semestre de cette année et les efforts déployés par les parquets concernant la rationalisation de la détention préventive, différents acteurs au sein de la société n’ont cessé, à travers de nombreux supports, y compris les réseaux sociaux et autres, d’appeler à l’activation du mécanisme de détention pour dissuader les auteurs de crimes mineurs, au lieu de les poursuivre en état de liberté, étant convaincus que la justice et la répression ne peuvent être efficaces qu’à travers la détention et des sentences privatives de liberté. Néanmoins, les magistrats du Ministère public demeurent attachés à l’application stricte de la Loi et ne se trouvent aucunement influencés par ce qui a été évoqué, car ils tendent, au titre du principe d’adaptation, à rationaliser la gestion de la procédure de détention pour la majorité des personnes déférées devant eux, ce qui est également le cas des juges d’instruction dans le cadre de leur pouvoir discrétionnaire et de leur indépendance.
Et la Présidence du Ministère Public de signaler qu’à la faveur de l’interaction positive avec les services centraux de la police judiciaire en vue d’améliorer l’efficacité judiciaire à travers la rationalisation de la réalisation des enquêtes pénales dans un délai raisonnable, la plupart de ces enquêtes sont désormais menées dans un délai ne dépassant pas trois mois. Elle note aussi que la majorité des personnes concernées par ces enquêtes sont déférées devant les parquets compétents qui décident de placer certaines d’entre elles en détention préventive chaque fois que les conditions requises sont réunies, notamment la gravité des actes et l’absence de garanties, comme c’est le cas par exemple pour l’émission de chèques sans provision, l’escroquerie, le faux, la traite des êtres humains et autres.
S’agissant de la population carcérale en 2022, la même source indique que 30% d’entre elle est incarcérée pour trafic de drogues, 31% pour crimes financiers et 30% pour agressions graves contre des personnes (homicide, constitution de bandes criminelles, usage d’armes blanches etc).
Et le communiqué d’ajouter que les affaires pénales dans les tribunaux représentent près de 62% du total des affaires en cours devant ces juridictions, expliquant que les juges déploient d’énormes efforts pour les traiter dans des délais raisonnables malgré les contraintes liées aux aspects juridique et factuel, en particulier la question de la notification, comme en témoigne le taux des affaires pénales jugées en 2022 (87%), ce qui fait que le nombre des jugements rendus par chaque juge dépasse les 2.000 en raison du manque des magistrats en général, sachant que cette moyenne dépasse celle enregistrée dans certains pays.
La Présidence du Ministère public affirme, par ailleurs, qu’elle érige en priorité l’impératif de faire face à la prolifération de la criminalité et la protection des citoyens et de la société de ses effets, sur la base des engagements de l’Etat dans ce sens, l’objectif étant d’éviter de saper les efforts des services de sûreté et de la police judiciaire en matière de lutte contre le crime et de consacrer le rôle de la justice dans la mise en œuvre du principe de protection des droits des personnes et des groupes, de leur liberté et de leur sécurité judiciaire, conformément à l’article 117 de la Constitution. « Partant de ce fait, l’adoption de manière excessive d’une attitude flexible, en maintenant dans un état de liberté des personnes impliquées dans certains crimes dangereux, aura des conséquences graves sur la sécurité aussi bien de la société que des individus », soutient la Présidence.
En raison de ces contraintes, l’approche de traitement du crime diffère d’un pays à l’autre, selon ses spécificités et la culture de ses citoyens, explique la même source, estimant que cela implique pour le Royaume un travail soutenu pour changer la culture dominante actuellement chez certaines catégories de citoyens qui considèrent que l’efficience de la justice pénale est liée à la détention et que l’efficacité de la dissuasion réside dans les peines privatives de liberté, sans quoi cette justice reste critiquable et inefficace, sachant que le pouvoir judiciaire, de manière générale, ne prête aucune attention à ce courant et veille à une application saine et appropriée de la Loi.
Cette situation, selon la Présidence du Ministère public, requiert le traitement de la question de la surpopulation carcérale à travers diverses approches visant à humaniser les établissements pénitentiaires et à assurer les conditions adéquates au personnel y travaillant pour mener à bien sa mission, tout en gardant à l’esprit l’obligation de garantir la sûreté et la sécurité de la société.
Tout en affirmant l’importance du contenu du communiqué de la DGAPR au sujet du diagnostic de la situation des établissements pénitentiaires et l’appel à trouver, dans les plus brefs délais, des solutions à la problématique de la surpopulation carcérale pour éviter les retombées qui y sont mentionnées, la Présidence du Ministère public affirme qu’elle continuera d’assurer son rôle en matière d’encadrement et de sensibilisation de ses juges afin de prendre les mesures requises, conformément aux dispositions de la loi, ainsi que de fournir davantage d’efforts, dans la mesure du possible, pour rationaliser la détention préventive, dans la perspective d’atteindre les objectifs escomptés.
Partageant également avec la DGAPR son inquiétude à propos de cette situation telle que rapportée dans le communiqué de la Délégation, au vu de son impact négatif sur les conditions d’incarcération et la bonne gestion des établissements pénitentiaires, la Présidence du Ministère Public tient à saluer les efforts de la Délégation en faveur de l’amélioration des conditions de ces pensionnaires ainsi que la bonne gestion des établissements pénitentiaires et toutes les bonnes initiatives dédiées à la réinsertion des détenus.
Dans ce cadre, elle réaffirme sa volonté de convoquer, en septembre prochain, une rencontre réunissant l’ensemble des institutions et des parties concernées pour discuter de cette question, ainsi que des opinions, propositions et moyens pour transcender toutes les difficultés et contraintes liées à la gestion de la détention préventive et à la situation des établissements pénitentiaires, dans la perspective d’une intervention prochaine du Législateur afin de trouver les solutions législatives attendues concernant aussi bien l’adoption de nouvelles dispositions susceptibles de consolider les mesures alternatives à la détention préventive et d’accélérer la promulgation des dispositions relatives aux mesures alternatives aux peines privatives de liberté, au Code de la procédure pénale et au Code pénal en général.