Dans les allées de la gouvernance locale à Tahanaout, il y a quelque chose de pourri qui ne dit pas son nom. Said Ait Mahdi, qui préside la Coordination des victimes du séisme d’Al-Houz, en sait quelque chose, lui qui a été placé, lundi, en détention préventive à la prison locale d’Oudaya de Marrakech. Il est poursuivi pour « diffusion d’allégations mensongères dans l’intention de porter atteinte à la vie privée des individus », « insulte envers un corps constitué et outrage à des fonctionnaires publics dans l’exercice de leurs fonctions ». Trois autres prévenus sont poursuivis pour ce dernier motif. Ces arrestations font suite aux plaintes déposées par des agents d’autorité provinciaux, gouverneur d’Al-Haouz en tête.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Tout simplement de la grande défaillance de l’Etat à prendre en charge, comme l’exigent les recommandations royales, les sinistrés du séisme d’Al-Haouz dont l’ampleur des dégâts transgresse le seul cadre territorial de cette vaste région montagneuses pour toucher jusqu’aux confins du Souss et du Draa. Nul besoin d’être un clerc pour se rendre à l’évidence que les autorités locales, suivant en cela celles centrales, tentent de faire taire les voix qui n’exigent que l’application stricte et rigoureuse des injonctions royales exprimées dans la foulée du drame. Ni les fonds ad hoc ne manquent, ni la volonté des victimes à bien faire. Mais il faut croire que parallèlement au bilan, toujours modeste, de la gestion post-traumatique au niveau des régions sinistrées, un pan du Maroc présente la facette hideuse d’un véritable Armageddon, les représentants de l’autorité centrale et leurs relais locaux persistent à vouloir sanctionner les voix libres qui dénoncent les injustices post-séisme. S. Ait Mahdi n’a rien dit d’autre que ce que les siens, victimes patentées de la catastrophe qui a frappé la région, dénoncent. Un trafic au niveau des aides directes apportées aux sinistrés. L’affaire de la distribution des produits céréaliers en fait partie.
Pour l’heure, l’Association marocaine des droits humains (AMDH) à Aït Ourir a condamné les interpellations, en appelant à la « libération immédiate » du coordinateur. Dans ce sens, l’ONG a exhorté les autorités à se concentrer sur « la mise en œuvre de tous les engagements liés à la reconstruction et à l’indemnisation » des sinistrés du séisme de septembre 2023, « plutôt que d’adopter une approche sécuritaire ».
Par la même occasion, la section locale de l’AMDH a insisté sur l’accélération du processus de dédommagement, de manière à revitaliser l’activité économique dans la région. Dans le hameau où s’active S. Ait Mahdi, est-il logique que plus d’un an et demi après le séisme, des victimes soient encore écartées des circuits de l’aide publique ? Le gouverneur de la zone auquel on reproche de rester calfeutré dans son antre administratif tire-t-il un quelconque plaisir à ignorer les souffrances de la population au service de laquelle il a été nommé ? En tout cas, s’il est désormais facile de pouvoir monter un dossier à charge contre tout activiste en rogne contre les incohérences de l’action publique, -et la Constitution garantit le droit à la parole pardi !-, le pauvre S. Ait Mahdi en ressent déjà les effets, ce qui est difficile à croire, et encore moins à supporter, c’est de vivre tous les jours que le bon Dieu fait les défaillances de l’Etat. Les victimes sont toujours casées, comme du bétail, dans des abris en plastique, renvoyant à tout visiteur l’image d’une grande désolation. Ni la reconstruction n’a été menée dans les règles de l’art, ni les routes, stratégiques pour ces zones montagneuses particulièrement vulnérables aux éléments, n’ont encore été réhabilitées. Nul besoin de rappeler, à ce sujet, que si responsable il y a à ce niveau de défaillance, c’est bien le gouvernement et ses ministres.