Dans une interview accordée le 19 mai à la chaîne ABC, V. Nuland, néo-conservatrice assumée, a estimé que la présence d’instructeurs occidentaux pourrait « impliquer directement » le bloc dirigé par les États-Unis. Si celle-ci reconnaît qu’il est difficile pour les troupes ukrainiennes de « quitter le front » pour s’entraîner à l’étranger, l’ex-diplomate américaine redoute que des éléments de l’OTAN stationnés en Ukraine n’incitent Vladimir Poutine à s’attaquer aux pays du bloc militaire. « Je crains que les bases d’entraînement de l’OTAN en Ukraine ne deviennent une cible pour Vladimir Poutine », a déclaré V. Nuland. Avant d’ajouter que « cela implique directement l’OTAN sur le terrain, ce qui pourrait […] intensifier la guerre dans une direction différente et amener Poutine à penser que le territoire de l’OTAN pourrait être une cible légitime pour lui. »
Âgée de 62 ans, épouse du politologue néoconservateur Robert Kagan, V. Nuland est considérée comme l’un des principaux architectes de la politique antirusse de Washington, notamment en Ukraine. Son départ à la retraite avait été annoncé en mars dernier. Un départ qui, aux yeux de la porte-parole de la diplomatie russe, s’expliquerait par l’« échec » de la politique anti-russe qu’elle a insufflée aux administrations Obama et Biden. Dans la même veine, l’ex-numéro 2 de la diplomatie américaine estime qu’il « est temps d’aider davantage les Ukrainiens à frapper » en Russie.
Les avancées russes dans la région de Kharkov constituent, selon elle, une « intensification » par Moscou du conflit, qui devrait pousser Washington à permettre à Kiev d’employer les armes US au-delà des limites fixées jusqu’à présent.
Le 16 mai, le New York Times révélait que l’Ukraine avait demandé aux États-Unis et aux pays de l’OTAN de l’aider à former 150 000 nouvelles recrues plus près de la ligne de front pour un déploiement plus rapide. Une mobilisation jugée inévitable par Charles Quinton Brown Jr, chef d’état-major des armées des États-Unis, selon la même source. S’il juge une telle opération risquée pour l’heure, celui-ci a toutefois déclaré : « Nous y parviendrons, au final, avec le temps. » « Toute attaque contre les entraîneurs forcerait les États-Unis à honorer leurs obligations envers l’OTAN, les entraînant ainsi dans la guerre », a ajouté le quotidien new-yorkais.
Face aux menaces de déployer des éléments de l’OTAN en Ukraine, aussi brandie depuis plusieurs mois par le président français, la Russie a prévenu que ces militaires occidentaux deviendraient « inévitablement des cibles » de ses forces armées. Quant à l’élargissement des attaques sur le sol russe, que Kiev pourrait mener avec des armements fournis par les Occidentaux, Moscou avait notamment mis en garde Londres qu’elle se réserverait le droit de frapper « n’importe quelle installation et équipement militaire britannique sur le territoire ukrainien et au-delà ».
Berlin au chevet de Kiev
En visite surprise à Kiev mardi 21 mai, Annalena Baerbock, ministre allemande des Affaires étrangères, a affirmé que l’Ukraine avait « besoin de toute urgence » de plus de défense aérienne face aux bombardements russes dans la région de Kharkov. Moscou reproche à l’Occident de fermer les yeux sur les frappes ukrainiennes en Russie. « La situation en Ukraine s’est encore une fois dramatiquement aggravée avec les frappes aériennes russes massives sur les infrastructures civiles et la brutale offensive russe dans la région de Kharkiv », a déclaré A. Baerbock après son arrivée en train de nuit dans la capitale ukrainienne, citée par l’AFP. La diplomate allemande a estimé que l’Ukraine avait « besoin de toute urgence d’une défense aérienne renforcée » face à une « pluie de missiles et de drones russes ».
Lors d’une conférence de presse commune, Dmytro Kouleba, chef de la diplomatie ukrainienne, a estimé qu’il n’y avait « aucun argument légal, sécuritaire ou moral qui empêcherait nos partenaires d’abattre les missiles russes au-dessus du territoire de l’Ukraine à partir de leur territoire ».
Au début du conflit, les Occidentaux avaient jugé que le risque d’escalade du conflit était trop grand. D. Kouleba a balayé d’un revers de la main cet argument, affirmant qu’abattre un missile ne mettait pas en danger la Russie ou les soldats russes. L’objectif de la visite d’A. Baerbock est bien sûr d’assurer les Ukrainiens du soutien de l’Allemagne et de l’UE, en dépit de l’aggravation de la situation, selon le ministère des Affaires étrangères. « Notre soutien repose sur la profonde conviction que l’Ukraine gagnera cette guerre », n’a pas craint d’affirmer la ministre. Vladimir Poutine pense qu’« à un moment donné, nous manquerons d’air, mais nous avons la capacité de tenir », a-t-elle ajouté.
La semaine précédente, la visite du secrétaire d’État américain, qui a lui aussi voulu assurer Kiev du soutien occidental, a suscité une controverse dans le pays, à la suite d’un concert rock dans un bar de la capitale. L’opinion ukrainienne a reproché à Antony Blinken le retard de l’aide occidentale et la légèreté de ce concert.
Cette visite intervient alors que les troupes de Kiev sont en difficulté sur le front face à la pression des forces russes. Ces dernières ont lancé le 10 mai dernier une offensive dans la région de Kharkov, contraignant l’Ukraine à dépêcher des renforts, quitte à étirer ses défenses.
Moscou a revendiqué en dix jours la libération d’une dizaine de villages. Selon Volodymyr Zelensky, cet assaut russe pourrait être la « première vague » d’une offensive beaucoup plus large. Les frappes russes dans la profondeur ukrainienne se sont aussi accentuées à la fin de l’hiver, visant notamment les installations énergétiques du pays. Moscou déclare riposter après les attaques de drones ukrainiens sur ses raffineries pétrolières.
Commentant l’offensive russe devant la presse en marge de sa visite en Chine, V. Poutine a indiqué le 17 mai que la Russie n’avait pas l’intention de lancer un assaut contre Kharkov, mais que ses troupes créaient une « zone tampon » afin de mettre un terme aux bombardements constants des villes frontalières russes par l’artillerie ukrainienne. Il avait prévenu depuis l’été 2023 et la tentative de contre-offensive ukrainienne qu’une telle mesure serait nécessaire si les bombardements venaient à perdurer. Frontalière de l’Ukraine, la région russe de Belgorod est quotidiennement visée par des tirs de l’artillerie et des drones ukrainiens. Le 12 mai, un immeuble s’est effondré à la suite d’une frappe ukrainienne, tuant 16 civils et en blessant 30 autres. La diplomatie russe dénonce le refus occidental d’admettre de telles frappes.