A l’heure où on s’interroge sur la 5 G dans le pays, la circulation des images, surtout celles qui cristallisent l’attention de l’opinion, atteint la vitesse de la lumière. Les photos qui ont immortalisé le camion de la commune de Tioughza, province de Sidi Ifni, stationné devant une maison appartenant à la famille de Mustapha Baïtas, porte-parole du gouvernement, ont été assortis de commentaires sur la distribution de paniers alimentaires durant le mois de ramadan, sous la bannière de la Fondation Joud, bras « philanthropique » du Rassemblement national des indépendants (RNI). Un scandale politique est dès lors soupçonné et devait immanquablement nourrir la chronique parlementaire. Des formations de gauche n’ont pas manqué d’alimenter le débat en questionnant le ministre de l’Intérieur.
Fatima Tamni, députée de la Fédération de la gauche démocratique (FGD), a interpellé le ministre de l’Intérieur via une question écrite concernant « l’exploitation d’équipements publics et de la situation de pauvreté de citoyens à des fins électorales par une association proche du chef du gouvernement ». Pour cette militante de gauche, il s’agit d’« un véritable attentat à la démocratie » qui ne peut être que dénoncé. « Des parties se disant caritatives mais qui sont proches du parti au pouvoir cherchent à exploiter la pauvreté aggravée par le gouvernement lui-même, pour influencer la volonté populaire des citoyens, à l’approche des échéances électorales et de la course à la tête de l’exécutif du Mondial », a-t-elle fait valoir. La parlementaire FGD a ajouté que les données disponibles confirmaient que « plusieurs violations ont été constatées, notamment l’utilisation abusive d’équipements publics, donc un camion devant le domicile d’un ministre du gouvernement actuel pour transporter de l’aide destinée à une organisation caritative ».
Elle a estimé que « ces pratiques sapent les fondements de la démocratie et constituent un abus d’influence, étant donné que cette organisation, se réclamant caritative et proche du chef du gouvernement, a été absente de plusieurs événements importants, les exploitant à des fins partisanes ». Avant d’interpeller Abdelouafi Laftit sur « les mesures envisagées pour enrayer ces pratiques, l’utilisation abusive d’équipements publics à des fins électorales et l’exploitation de la pauvreté des citoyens pour les influencer implicitement, en vue des prochaines élections ».
Le député Rachid Hamouni, chef du groupe du Parti du progrès et du socialisme (PPS), a également interpellé l’Intérieur en faisant valoir que « la Fondation Joud, branche caritative et philanthropique du parti au pouvoir, qui mène des opérations fréquentes et à grande échelle pour distribuer des aides en nature via un large réseau, sous couvert d’œuvres d’intérêt général en exploitant souvent les ressources et les biens publics ». Il a ajouté que cette aide « est fournie sous couvert de solidarité et de charité, mais le contexte électoral et les conditions qui la sous-tendent sont évidents, témoignant d’une exploitation de la pauvreté et de la vulnérabilité des personnes pour attirer les électeurs à travers une approche non éthique et illégitime vers le parti au pouvoir, dont les liens publics et manifestes avec cette fondation sont bien connus ». Qu’elles sont dès lors, devait ajouter le parlementaire, « les mesures envisagées pour assurer la stricte application des dispositions légales relatives à la distribution de l’aide humanitaire, en général, et plus particulièrement concernant les pratiques de la Fondation Joud, clairement affiliée à des partis politiques et électoraux et largement relayées par l’opinion publique ».
Voilà pour le côté jardin. Côté cour, on signale que le gouverneur de la province de Sidi Ifni a adressé un courrier aux responsables des municipalités concernant « l’utilisation des biens des communes à des fins politiques ». Dans cet écrit, il informe avoir « constaté que certains responsables de conseils municipaux ont délibérément utilisé des véhicules et des ressources des villes à des fins politiques et électorales, qui ne relèvent pas de la gestion des affaires publiques locales ». Il a rappelé que ces situations-là constituaient « une violation flagrante des lois en vigueur ». Exhortant, enfin, les responsables communaux « à veiller à ce que l’utilisation des ressources municipales soit contrôlée et à ce que leur mobilisation ne soit autorisée que dans l’intérêt public et dans le cadre de la loi ».
Lors de son interpellation jeudi, lors du point de presse hebdomadaire après le Conseil du gouvernement, M. Baïtas a évité de répondre de manière claire. « Nous trouverons le cadre optimal pour aborder les questions politiques soulevées récemment », s’est-il contenté de lâcher, avant de fermer ses dossiers et prendre la poudre d’escampette.
Postlude
La Fondation Joud qui pèse sur le cœur y compris des alliés au sein de la majorité, l’interjection d’Abdellatif Ouahbi, à l’époque leader du PAM avait fait florès, anime toujours la polémique après le reliftage de l’Exécutif et la nomination de l’une de ses responsables à la tête de l’Agence en charge du social. Lors des législatives de 2021, la formation dirigée par le milliardaire Aziz Akhannouch, avait été pointée du doigt pour avoir exploité la misère des électeurs des fins électorales. La Fondation a même fait l’objet d’une mise en demeure de la part de l’association Jood, mouvement citoyen en charge des sans-abris, lui enjoignant de changer de nom pour éviter toute confusion entre les deux entités. Affaire toujours pendante…
Mais il y a plus grave au regard des charges retenues contre le RNI dans ses campagnes électorales où l’argent est roi. La formation islamiste PJD, comme le PPS, la FGD et le PSU n’ont jamais raté l’occasion pour dénoncer les lessiveuses actionnées lors des rendez-vous électoraux par la formation du richissime patron de l’Exécutif. Avec l’image du camion planté devant une maison des proches de M. Baitas à Tioughza, c’est toute la rhétorique du recours à l’argent sale en politique qui va prendre de l’ampleur. Ceci est d’autant plus vrai que le RNI se propulse déjà comme LE vainqueur des prochaines législatives prévues dans un peu plus d’un an. Voilà qui remet en selle le débat que le ministre de la Justice a juré de clore sur les affaires liées à la gabegie et autre manifestations de corruption de la vie publique en expurgeant la réforme qu’il porte au code pénal de la possibilité offerte aux ONG dénonciatrices des tares de la société politique. De quoi renforcer l’idée bien ancrée dans le subconscient collectif des « TOUS POURRIS » par laquelle jure une bonne majorité de citoyens en proie à la désaffection…