En septembre dernier, Microsoft déclarait vouloir relancer la centrale nucléaire de Three Mile Island, fermée depuis cinq ans, avec pour objectif d’assurer les besoins en électricité de ses centres de données utilisées pour l’intelligence artificielle. Un exemple de la quantité toujours plus colossale d’énergie que réclame cette technologie., Selon une étude soutenue par le département américain de l’énergie, ces besoins vont tripler d’ici à 2028 et on s’attend à ce que le secteur consomme, à terme, 12% de l’électricité produite aux USA. Il faudra en conséquence que les moyens de production suivent, d’autant plus que la demande est également croissante dans d’autres domaines, à mesure que le pays s’électrifie, notamment dans les transports et le bâtiment, afin de décarboner l’économie.
Pour répondre à cet enjeu, les auteurs de ce travail proposent plusieurs pistes, allant de l’installation de batteries longues durées sur les sites des centres de données jusqu’à la mise en place de miniréacteurs nucléaires, même si cette technologie n’est pas encore mature et cherche encore son modèle économique. Enfin, autre option envisagée, travailler sur l’efficacité énergétique de ces centres pour les rendre moins gourmands.
Le développement de l’intelligence artificielle (IA) générative fait grimper toujours plus la consommation d’électricité des géants des nouvelles technologies. Ce sont les résultats de quelques données obtenues par des chercheurs et associations, malgré le manque de transparence des grandes entreprises du secteur. Cette consommation vorace d’énergie interroge, alors que les effets du changement climatique se font de plus en plus explicites et forts.
L’année 2024 devrait être la plus chaude jamais enregistrée sur Terre, a averti début novembre dernier l’observatoire européen Copernicus. Pour espérer contenir le réchauffement de la planète provoqué par les activités humaines, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a encore rappelé en octobre que la transition énergétique doit aller beaucoup plus vite.
À l’heure où le monde est appelé à abandonner les énergies fossiles et passer aux énergies renouvelables, la consommation d’électricité dévorante de l’intelligence artificielle générative, suscite des questions. Il faut distinguer deux sources de consommation d’énergie quand on parle d’IA générative : d’abord, le fait de construire et d’entraîner les modèles sur lesquels s’appuient des plateformes comme ChatGPT (de l’entreprise OpenAI), Midjourney ou encore Gemini (appartenant à Alphabet, maison mère de Google). Si on interroge ChatGPT à ce sujet, le robot répond que sa version grand public la plus récente, GPT4, « a nécessité une énorme quantité d’énergie pour son entraînement ». Open AI – soutenue financièrement par Microsoft – ne donne pas plus de précisions.
La seconde source de consommation d’énergie liée à l’IA est son utilisation directe par les clients ou le grand public. « L’IA générative a un impact plus important qu’une recherche Google par exemple », souligne Samuel Rincé, président et co-fondateur de l’association GenAI Impact, en marge de la conférence ai-Pulse organisée par Scaleway début novembre à Paris. « Par exemple, l’utilisation pendant un mois de ChatGPT [dans son modèle précédent, GPT 3.5] par ses millions d’utilisateurs, représente près de 10 000 tonnes d’équivalent CO2. Si on le compare aux émissions aériennes, cela correspond à plusieurs centaines de vols entre Paris et New York », poursuit-il, citant les chiffres d’une étude menée avec Data for Good en 2023. C’est bien plus que l’énergie nécessitée pour la construction et l’entraînement du modèle. De plus, pour générer des images et non du texte, les robots d’intelligence artificielle sont encore plus gourmands en énergie. Le modèle de génération d’image « le moins performant » vide de moitié la batterie d’un smartphone moyen pour créer une seule image, estime la start-up nord-américaine Hugging Face, dans une étude de Carnegie Mellon University publiée le 15 octobre.
Mais les scientifiques ont du mal à accéder à des données complètes et précises de la part des géants des nouvelles technologies. D’une part, « une bonne partie des modèles [d’intelligence artificielle] sont hébergés dans le cloud » et non sur l’ordinateur des utilisateurs, souligne Gaël Varoquaux, directeur de recherches à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Cela rend difficile d’obtenir des données précises sur la quantité d’électricité consommée par ces modèles, ainsi que son origine, fossile ou non.
Les centres de données installés en Irlande, notamment utilisés pour l’intelligence artificielle, consomment 20% de l’électricité du pays, estime l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Pour l’instant, ce chiffre est de 4 % aux USA, mais il est en constante augmentation.
D’après l’agence, les investissements pour la construction de nouveaux centres de données aux États-Unis ont doublé en l’espace de deux ans seulement. Pour répondre à une consommation d’électricité toujours plus grande, les énergies renouvelables ne suffisent pas. Les géants des nouvelles technologies ont recours également aux énergies fossiles. De plus, Microsoft, Google et Amazon ont tous les trois annoncé ces dernières semaines plusieurs milliards de dollars d’investissement dans le nucléaire.
L’ONU s’alarme de cette situation. L’essor de l’économie numérique a des répercussions de « plus en plus graves » sur l’environnement. Entre la consommation d’eau et d’électricité des centres de données et l’épuisement des matières premières, les e-déchets ont augmenté de 30 % en 12 ans, avait alerté le rapport de juillet dernier de la Cnuced, l’agence de l’ONU pour le commerce et le développement. En 2020, les émissions en CO2 des technologies de l’information et de la communication (TIC) étaient comparables à celui du transport aérien ou du fret maritime : ils représenteraient jusqu’à 3,2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon le rapport de l’agence onusienne.
De l’extraction et le traitement des matières premières jusqu’à la fabrication, la distribution, l’utilisation et la mise au rebut, les outils numériques ont besoin de beaucoup de ressources, non seulement pour fonctionner, mais aussi pour être fabriquées. Par exemple, la production d’un ordinateur de 2 kg nécessite environ 800 kg de matières premières. Quant aux data centers qui stockent et partagent toutes les données, leur voracité en énergie est telle qu’ils utilisent autant d’électricité que toute la production française annuelle. Il n’y a pourtant pas que l’électricité, rappelle Rebeca Grynspan, secrétaire générale de la Cnuced : « Google a révélé qu’en 2022, l’entreprise a consommé 21,2 millions de m3 d’eau pour alimenter ses bureaux et ses data centers. » Une tendance qui n’est pas isolée chez les géants de l’information. Elle poursuit : « De son côté, on estime que Microsoft, pour entraîner Chat GPT, a utilisé 700 000 litres d’eau pour [refroidir] ses data centers. On ne peut pas dire que c’est quelque chose de marginal. »
Le développement de l’IA et le minage de cryptomonnaies sont particulièrement préoccupants pour la Cnuced. Le minage du bitcoin, par exemple, a vu sa consommation d’énergie mondiale multipliée par 34 entre 2015 et 2023. Un problème, selon le rapport. D’où l’urgence de mieux contrôler le développement de l’économie numérique.
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, le rappelle : « La numérisation continue d’avancer à la vitesse de l’éclair, transformant les vies et moyens de subsistances ». Pourtant, un essor non régulé de l’économie numérique risque de laisser de côté une partie de la population et d’exacerber les défis environnementaux, a-t-il prévenu. Et ce, au détriment des pays les moins avancés (PMA).
Shamika Sirimanne, responsable des questions de technologie et de logistique à la Cnuced, estime que la question de savoir à quoi va servir l’IA n’a pas encore trouvé de réponses. « Mais avant qu’il soit trop tard, il faut engager cette discussion », a-t-elle insisté. Pour y parvenir, plusieurs mesures ont été citées. En évitant, par exemple, d’installer des data centers là où l’eau se fait rare, en utilisant, des énergies renouvelables, ou encore en recyclant au maximum les déchets numériques.