« Des décennies de retard dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique ont aggravé ses effets » sur la santé, s’inquiètent les auteurs du 9e Lancet Countdown. « Des événements météo extrêmes ont battu des records partout dans le monde en 2023, avec des vagues de chaleur, des incendies, des tempêtes, des inondations et des sécheresses qui ont affaibli les populations, les systèmes et les économies desquels dépend leur santé. »
Pour évaluer ces effets du dérèglement climatique sur la santé, les scientifiques – 122 à travers le monde issus de 57 institutions – ont analysé une cinquantaine de grands indicateurs, dont certains sont nouveaux, étoffant ainsi les analyses. Ces outils permettent « d’évaluer un état de santé, une pratique, une organisation ou la survenue d’un événement, ainsi que son évolution dans le temps », selon la définition de la Haute autorité de santé. Dix de ces indicateurs « battent des records préoccupants dans les années les plus récentes », indique le document de 50 pages dévoilé mercredi.
L’exposition prolongée du corps humain à des températures toujours plus élevées accroît les effets sur la santé physique et mentale. Or, entre 2019 et 2023, il y a eu en moyenne 46 jours de plus d’exposition à une chaleur présentant un risque pour la santé que dans un scénario sans changement climatique planétaire. En 2023, 31 pays ont vécu au moins 100 jours de plus à ce niveau néfaste de chaleur que dans un scénario sans réchauffement climatique. Première conséquence alarmante : la mortalité des plus de 65 ans en raison de la chaleur a augmenté de 167% par rapport à la décennie 1990. Sans cette hausse des températures provoquée par les émissions, ce taux tomberait à 65%, selon les calculs des dizaines d’experts internationaux qui ont participé à la rédaction ce rapport.
Le nombre d’heures d’exposition du corps humain à la chaleur lors d’activités extérieures a lui aussi augmenté : +27,7% par rapport à la moyenne de la décennie 1990. En 2023, on estimait à environ 1,6 milliard le nombre de personnes travaillant à l’extérieur, soit 26% de la population mondiale. Cette exposition a par ailleurs engendré la perte de 512 milliards d’heures de travail potentielles – soit 835 milliards de dollars de revenus perdus -, beaucoup plus largement dans les pays les plus pauvres. En moyenne annuelle, les pertes économiques liées à des événements extrêmes ont augmenté de 23% entre les années 2010-2014 et 2019-2023 dans 60% des économies du monde.
Autre information-clé : le temps de sommeil perdu en raison des températures est en hausse de 6% par rapport à la période 1986-2005. « Comme les températures nocturnes augmentent plus vite que celles de jour dans de nombreuses régions du monde, le risque de conséquences néfastes d’un sommeil de mauvaise qualité augmente également », conclut l’étude.
Incidence majeure directe du changement global sur les individus, les événements météorologiques extrêmes, devenus plus fréquents et plus intenses depuis l’ère industrielle, mettent les populations en danger. Par exemple, l’exposition à des incendies de haute intensité a augmenté dans 124 pays entre 2003 et 2023, et a baissé dans seulement 45. Toutefois, le nombre de personnes en proie aux particules émises par les feux a baissé, probablement en raison d’une meilleure prévention et d’une gestion plus efficace de ces catastrophes.
Dans le même temps, en 2023, presque la moitié des terres émergées de la planète (48%) ont connu au moins un mois de sécheresse extrême – un record historique. L’Amérique du Sud, mais aussi la Corne de l’Afrique (531 000 personnes déplacées en Somalie) ont été particulièrement touchées. Les sécheresses et vagues de chaleur qui se succèdent ont précipité près de 150 millions de personnes dans l’insécurité alimentaire dans plus d’une centaine de pays. En outre, sécheresse et incendies multiplient les possibilités de tempêtes de poussières et de sable. Or, les minéraux soulevés et dispersés participent à la pollution atmosphérique, ce qui amplifie les pathologies respiratoires (l’asthme par exemple), cardio-vasculaires ou les décès prématurés.
À l’échelle mondiale, le Lancet Countdown estime à 3,8 milliards les personnes qui ont été confrontées à une concentration en particules en suspension bien supérieures aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un chiffre là encore en augmentation. Les pays les plus développés sont, pour les deux tiers, les plus exposés.
À l’inverse, le réchauffement climatique génère aussi une modification du régime des pluies, qui se répètent plus souvent tout en s’intensifiant. Entre 2014 et 2023, 60% des terres du globe ont connu une augmentation des précipitations extrêmes, comparé à la moyenne de trois décennies allant de 1961 à 1990. Le développement de maladies infectieuses, telle que la dengue, le paludisme, le virus du Nil occidental ou la vibriose, une infection causée par la consommation de fruits de mer contaminés, en sont des corollaires. La saisonnalité de transmissions du virus de la malaria s’est allongée. Au contraire, dans certaines régions endémiques, en Afrique sub-saharienne par exemple, les températures sont trop élevées pour permettre au vecteur viral de survivre, et cette durée a diminué. Enfin, le territoire de vie du moustique s’est agrandi.
Au-delà des conséquences directes sur le corps des femmes et des hommes, le changement climatique a des implications économiques et sociales majeures qui influent ensuite sur la santé des populations.
Dans les pays peu développés, les habitants payent le tribut de la précarité énergétique et d’un manque d’accès à l’électricité, qui concerne encore 745 millions de personnes. La combustion de bois ou de fumier fournit 92% de l’énergie des foyers. Le recours à cette biomasse a causé la mort de 3,3 millions de personnes dans le monde en 2021.
Par ailleurs, certaines habitudes ont un double effet sur la santé. La surconsommation de produits issus de l’élevage (viande rouge entre autres) participe à l’augmentation de 2,9% des émissions de gaz à effets de serre attribuées à l’agriculture depuis 2016. Elle est ensuite un facteur-clé du décès de 11,2 millions de personnes. Or, la bascule vers des régimes alimentaires moins carnés favoriserait la résilience des systèmes de santé et financiers, eux-mêmes sous tension. « Les avantages économiques d’une transition vers la neutralité carbone dépasseront de loin les coûts de l’inaction », insistent les scientifiques. De plus, les émissions du secteur ont augmenté de 36% depuis 2016. Un comble souligné par le rapport, car cela l’éloigne de la neutralité carbone visée et de son principe fondamental de ne pas faire de mal. « Malgré des années de surveillance qui ont révélé l’imminence des menaces sanitaires liées à l’inaction climatique, les risques ont été exacerbés par autant de retard dans l’adaptation, qui ont laissé les gens mal protégés contre la menace croissante du changement climatique », déplore le Lancet Countdown. Le document pointe le manque de moyens financiers comme un frein à l’adaptation sanitaire, tout comme le recours à des mesures nuisibles pour le climat (la climatisation) ou au contraire le non-recours à des solutions existantes, notamment celles basées sur la nature (la restauration des forêts et des écosystèmes offrent de nombreux co-bénéfices). Par ailleurs, la couverture universelle de santé reste une chimère : 4 à 5 milliards de personnes n’ont pas accès à des services élémentaires de soins.
Alors que l’argent manque cruellement dans de nombreux pays, le rapport rappelle l’appétit insatiable des grandes compagnies pétrolières et gazières qui « continuent de développer des plans d’extraction » et bénéficient de « ressources financières substantielles » alors qu’elles « nuisent à la santé ». « En mars 2024, les 114 plus grandes compagnies sont sur la voie de dépasser de 189% d’ici 2040 le niveau d’émissions compatibles avec 1,5°C de réchauffement. Leurs stratégies poussent le monde en dehors de la trajectoire des objectifs de l’Accord de Paris, menaçant toujours plus la santé et la survie des populations. » Même si, reconnait le rapport, les investissements dans les énergies fossiles ont encore cru de 10% en 2023 (et dépassent ceux dans les énergies fossiles, selon l’AIE), les Etats ne diminuent pas leurs subventions aux fossiles afin de garder un prix de l’énergie accessible.
Parmi les notes positives du rapport, le Lancet relève qu’un nombre croissant de pays ont fait l’inventaire de leurs faiblesses et de leurs besoins dans le domaine de la santé : seulement quatre pays avaient un plan d’adaptation sanitaire en 2022. Ils étaient 43 en 2023. Par ailleurs, dans le sillage de la réduction du recours au charbon, le nombre de décès dus à la combustion de fossiles a baissé de 6,9% entre 2016 et 2021. Toujours sur l’adaptation, les auteurs se réjouissent de voir que les contributions au Fonds mondial pour le climat, porteur de projets ayant un potentiel de résultats intéressants pour la santé, a grossi de 137% entre 2021 et 2023. Le rapport se félicite plus largement de « l’intérêt croissant porté sur la santé » lors de la COP28 et de l’élévation du changement climatique au rang des priorités au sein de l’OMS.
Le Lancet Countdown avance enfin « sept solutions de court terme », globales et politiques, pour mettre la santé au centre de la réponse au changement climatique. Premièrement, la santé doit se retrouver au cœur des prochaines stratégies climatiques des États, qui doivent être rendues d’ici à février 2025. Les subventions publiques distribuées aux énergies fossiles doivent être réorientées « vers un soutien à une transition juste et le développement d’énergies plus propres », ce qui améliorerait la santé des populations.
Plus concrètement, les auteurs préconisent d’intervenir davantage auprès du grand public pour promouvoir les énergies renouvelables ou encore des régimes alimentaires plus sains, ce qui « pourrait sauver des millions de vie chaque année ». Pourtant, des signaux montrent que cela n’est pas la direction prise : le nombre de gouvernements ayant évoqué la santé en lien avec le changement climatique dans leurs discours annuel à l’ONU est passé de 50% en 2022 à 35% en 2023. Les médias semblent également marquer le pas : le nombre d’articles sur le climat mentionnant la santé a baissé de 10%.
Le rapport n’oublie pas le contexte de la COP29 et ce qui s’imposera comme le principal sujet de ces négociations : trouver un accord sur un nouvel objectif financier pour la finance climatique, dont la santé humaine doit être le centre. Pour la deuxième année consécutive, une des dix journées thématiques sera spécialement dédiée à la santé, le 18 novembre.