Abdelilah El Marnissi, Chef de la Division de la Planification et des Études au ministère de la Santé et de la Protection Sociale, a ouvert la conférence en dressant un panorama des acquis récents du système de santé marocain, tout en exposant les grands axes de la réforme en cours. Il a rappelé les progrès notables accomplis ces dernières années, tant sur le plan de l’amélioration des indicateurs de santé que sur celui de l’élargissement de la couverture médicale, désormais généralisée à 87 % de la population. Le renforcement des ressources humaines, avec plus de 75 000 professionnels de santé, et la hausse significative du budget de la santé, qui atteint 7,2 % du budget général de l’État, ont été soulignés comme des avancées majeures.
Sur le volet des infrastructures, A. El Marnissi a évoqué la construction de nouveaux CHU à Agadir, Laâyoune, Béni Mellal, Errachidia et Guelmim, ainsi que la rénovation de plus de 1400 établissements de soins de santé primaires, notamment en milieu rural. Il a également mis en avant le déploiement de 100 unités médicales mobiles connectées, intégrant des outils de télémédecine, qui permettent de rapprocher les services de santé des populations isolées. Il a ensuite détaillé les orientations stratégiques de la loi-cadre 06-22, qui porte la refonte structurelle du système national de santé. Cette réforme repose sur une approche intégrée articulée autour de quatre piliers fondamentaux : la mise en place d’une nouvelle gouvernance sanitaire avec la création de la Haute Autorité de la Santé et des Groupements Sanitaires Territoriaux ; la valorisation des ressources humaines, à travers un nouveau modèle de rémunération basé sur la performance et l’ouverture à l’expertise médicale étrangère ; la modernisation de l’offre de soins, avec un objectif de rééquilibrage territorial ; et enfin, la digitalisation du système d’information, via la création d’un dossier patient partagé et de plateformes numériques interopérables.
Pour A. El Marnissi, ces transformations s’inscrivent dans une vision claire : construire un système de santé équitable, performant, durable et capable de répondre aux besoins de l’ensemble de la population, dans le respect des orientations du nouveau modèle de développement et du projet royal de généralisation de la protection sociale.
De son côté, Pr. Saber Boutayeb, DG du Centre Mohammed VI de la Recherche et de l’Innovation (CM6RI), a présenté les travaux du centre en matière de génomique et de médecine de précision. Il a souligné que le Maroc était l’un des rares pays africains à avoir lancé un projet de cartographie de son génome national, à travers le séquençage de 109 citoyens marocains. Ces données, publiées dans une revue de renommée mondiale, ont révélé la diversité génétique de la population marocaine, constituant un socle fondamental pour la médecine personnalisée. Il a également détaillé le projet de pharmaco génomique en cours au CM6RI, qui vise à identifier les variantes génétiques affectant la réponse aux médicaments. Les premiers résultats montrent qu’un pourcentage significatif de gènes identifiés sont spécifiques à la population marocaine, avec des implications concrètes en matière de toxicité et d’efficacité des traitements. Ce travail ouvre la voie à une meilleure prévention des effets secondaires et à une optimisation des prescriptions médicales. Par ailleurs, le centre a développé une capacité nationale de séquençage génomique rapide (RAPID WGS), essentielle pour le diagnostic précoce de maladies rares, en particulier en néonatologie. « La médecine de demain ne peut pas être importée. Elle doit être produite localement, par des compétences marocaines, avec des outils marocains et au service des Marocains », a-t-il affirmé.
Pr. Anass Doukkali, ancien ministre de la Santé et Président du Centre d’Innovation en e Santé, a pour sa part mis l’accent sur la nécessité urgente d’accélérer la digitalisation du système de santé marocain. Il a présenté les conclusions des Livres Blancs sur la e-santé, qui ont révélé une faible maturité digitale, une fragmentation des systèmes d’information, et une disparité importante entre les secteurs public et privé. Il a appelé à la généralisation du dossier médical informatisé, à l’interopérabilité des systèmes, et à la définition d’un cadre réglementaire clair pour la protection et le partage des données de santé. Il a aussi évoqué les opportunités de la feuille de soins électronique développée par la CNSS, qui pourrait devenir une base de données nationale de référence. En matière de formation, il a annoncé le lancement du premier Diplôme Universitaire en e santé, en partenariat avec la Fondation Mohammed VI, et plaidé pour une montée en compétence rapide des professionnels via des certifications numériques. Il a également insisté sur la gouvernance éthique de la donnée : « Un digital responsable et de confiance est la clé pour mobiliser les citoyens et garantir l’équité dans l’accès aux soins. »
Et pour finir, Pr. Jaafar Heikel , expert reconnu en santé publique et en économie de la santé, a livré une analyse directe et chiffrée sur les enjeux de financement du système de santé. Il a rappelé que les citoyens supportent plus de 52 % des dépenses de santé, un niveau bien au-delà des normes recommandées par l’OMS (25 % maximum). Il a plaidé pour une révision du modèle de financement, reposant sur une meilleure implication de l’État, des collectivités locales, des organismes d’assurance, et une régulation plus équitable entre secteurs public et privé. Il a également attiré l’attention sur le déséquilibre croissant en faveur du secteur privé, qui représentera 50 % des lits d’hospitalisation à l’horizon 2030. Il a salué le rôle de la Fondation Mohammed VI des Sciences et de la Santé, perçue comme un acteur stratégique intermédiaire entre public et privé, porteur de solutions hybrides, innovantes et accessibles. Enfin, il a insisté sur le poids économique des maladies chroniques, citant les coûts annuels du diabète (12 Mrds DH) et de l’hypertension (28 Mrds DH), supérieurs à eux seuls au budget du ministère de la Santé. Il a conclu en affirmant que la prévention et la territorialisation du financement sont des leviers incontournables pour bâtir un système pérenne et inclusif.
Cette conférence marquée par la participation de Stephen ORR, Président de la Chambre de Commerce Britannique pour le Maroc et Myriem Tamimy, Présidente de l’Association des Entreprises de Médicaments au Maroc (LEMM) et Directeur Général de GSK Maroc, a mis en lumière la convergence des efforts de l’administration, de la recherche, de l’innovation numérique et de l’analyse économique, en faveur d’une refondation du système de santé marocain.