Après trois heures et demi de débats très agités dans un hémicycle comble, 331 députés ont finalement décidé de faire chuter l’exécutif, alors que 288 voix étaient requises. « En raison de la motion de censure, (…) le Premier ministre doit remettre au président de la République la démission du gouvernement », a déclaré au perchoir Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale. Tout juste rentré d’une visite d’Etat en Arabie saoudite, Emmanuel Macron doit désigner un nouveau Premier ministre au terme de la Constitution.
Pour parvenir à la censure, les parlementaires de gauche et du parti d’extrême droite Rassemblement national, ainsi que ses alliés, ont voté ensemble pour censurer le gouvernement sur des questions budgétaires, alors que la France est très fortement endettée. Les chefs de file de cette alliance de circonstance ont clairement laissé entendre qu’au-delà du gouvernement de droite et du centre de Michel Barnier, c’était E. Macron qui était dans leur viseur, même si le sort du président français, dont le mandat court jusqu’en 2027, n’est pas lié en droit à celui de l’exécutif.
La France insoumise (gauche), par la voix de Mathilde Panot, présidente du groupe à l’Assemblée, a immédiatement demandé « à Emmanuel Macron de s’en aller », réclamant « des présidentielles anticipées ». Marine Le Pen, cheffe de l’extrême droite française, a estimé que le gouvernement du Premier ministre Michel Barnier devait chuter car il perpétue « les choix technocratiques » du président, élu en 2017 et réélu en 2022, actuellement au plus bas dans les sondages. La triple candidate malheureuse à l’élection présidentielle, dont deux fois face à E. Macron, a ajouté que celui-ci devait « lui-même conclure s’il (était) en mesure de rester (président de la République) ou pas ».
M. Barnier avait pris la parole avant le vote, moins pour dissuader les élus de voter la censure que pour prendre date en cas de renversement de son gouvernement. La France consacre 60 milliards d’euros par an à payer les intérêts de sa dette, soit plus que pour sa défense ou son enseignement supérieur, a-t-il rappelé. « On peut dire ce qu’on veut, c’est la réalité. Croyez-moi: cette réalité ne disparaîtra pas par l’enchantement d’une motion de censure », a-t-il mis en garde.
Cette censure suit des mois de crise, déclenchée par la dissolution de l’Assemblée nationale voulue par le chef de l’État après la déroute de son camp aux européennes face à l’extrême droite. Les législatives anticipées qui ont suivi ont abouti à la formation d’une assemblée fracturée en trois blocs (alliance de gauche, macronistes et droite, extrême droite), dont aucun ne dispose de la majorité absolue. Après 50 jours de tractations, un gouvernement de droite et du centre avait finalement été nommé début septembre.
La chute de l’exécutif après seulement trois mois aux affaires constitue un record de brièveté depuis l’adoption en 1958 de la Constitution française. Les deux motions ont été déposées après que le Premier ministre a déclenché mardi l’article 49.3 de la Constitution permettant de faire adopter un texte sans vote, sur le budget de la Sécurité sociale. Une décision prise à l’issue de plusieurs jours d’âpres discussions budgétaires, au cours desquelles M. Barnier a cédé à plusieurs demandes de l’extrême droite, qui en réclamait toujours davantage, selon lui.
Depuis l’Arabie saoudite, où il était en visite d’État, le président français avait affirmé qu’il ne pouvait « pas croire au vote d’une censure » du gouvernement. Il doit désormais désigner un nouveau Premier ministre, sur fond d’endettement croissant du pays. Le président a confié, depuis Riyad, au correspondant d’une chaîne privée qu’il écartait l’hypothèse d’une démission, et s’est déclaré convaincu que le RN ne voterait pas la motion de censure de la gauche contre le gouvernement Barnier. Les Insoumis et plusieurs personnalités publiques appellent toujours au départ du président. « Je serai président jusqu’à la dernière seconde» a affirmé E. Macron dans des confidences rapportées par le journaliste de CNews Florian Tardif.
Attendu à 6,1% du PIB en 2024, bien plus que les 4,4% prévus à l’automne 2023, le déficit public ratera son objectif de 5% en l’absence de budget, et l’incertitude politique pèsera sur le coût de la dette et la croissance. Autant la gauche que le centre ou la droite paraissent désunis pour s’entendre sur un nouveau gouvernement de coalition.
L’instabilité politique explique en partie la nervosité des marchés, dans un contexte de lourd endettement : le taux d’emprunt à 10 ans de la France est même passé, le 27 novembre, très brièvement au-dessus de celui de la Grèce, traditionnel mauvais élève en la matière dans l’UE.