C’est en compagnie du général Tamir Yadai, vice-chef d’état-major, et du général de brigade Yair Palai, commandant de la 210e division, que le ministre israélien de la Défense a atterri sur un des versants du mont Hermon. Il a osé déclarer depuis que  « chaque matin, lorsque Jolaní (Ahmad Charaa, président syrien par intérim) ouvrira les yeux au palais présidentiel à Damas, il verra Tsahal l’observer depuis les hauteurs de l’Hermon et se souviendra que nous sommes ici, et dans toutes les zones de sécurité du sud de la Syrie, pour protéger les habitants du Golan et de la Galilée contre toute menace venant de lui et de ses amis ». Il a ajouté que « Tsahal se prépare à rester en Syrie pour une durée indéterminée » et les forces israéliennes maintiendront leur présence dans la zone de sécurité et sur le mont Hermon. « Nous nous assurerons que toute la zone de sécurité dans le sud de la Syrie reste démilitarisée et libre d’armes et de menaces, tout en protégeant également la sécurité des Druzes dans la région », a-t-il dit. I. Katz a également fait référence aux bombardements israéliens contre la Syrie en signalant qu’« hier soir, nous avons agi avec force contre des cibles militaires et frappé plus de 40 objectifs dans le sud de la Syrie pour mettre en œuvre la politique que nous avons annoncée et prévenue, et pour déjouer les menaces contre Israël. » Le ministre a conclu en évoquant les relations avec la population locale : « Nous renforcerons les liens avec les habitants de la région et prochainement, le 16 du mois, commencera le travail des Druzes dans les localités du plateau du Golan. »

La Syrie connaît actuellement des transformations politiques et sur le terrain majeures qui créeront une nouvelle réalité au niveau politique et sécuritaire, dans le cadre d’accords séparés conclus par la nouvelle administration avec les forces influentes sur le terrain. Cela survient après les massacres qui ont secoué le littoral, où plus de 1800 civils de la communauté alaouite ont été tués par les forces de sécurité et groupes alliés. Les détails de ces massacres continuent d’être révélés malgré les efforts de dissimulation menés par les autorités de Damas. Ces dernières ont promis de traduire en justice tous les auteurs de ces crimes, afin d’apaiser la colère internationale.

Processus de morcellement

Un jour seulement après l’annonce de la signature d’un accord entre Damas et les Forces démocratiques syriennes (FDS), pour que ces dernières rejoignent l’armée syrienne naissante, les travaux ont commencé pour coordonner l’annexion du gouvernorat de Soueida, dirigée par des factions druzes et qu’Israël cherche à exploiter dans le cadre d’une campagne militaro-sécuritaire visant à diviser la Syrie. Mardi, le gouvernorat de Soueida a envoyé une délégation à Damas pour mener des pourparlers avec Ahmed al-Charaa. Les deux parties sont convenu à un accord en vertu duquel le drapeau syrien a été hissé sur le bâtiment du gouvernorat, quelques jours après que la bannière des druzes ait été brandie.

Cette situation s’accompagne d’un processus de redéploiement et de redistribution des forces, notamment le déploiement de l’Armée syrienne libre (ASL), fondée par les États-Unis dans la région d’al-Tanf, à la frontière entre l’Irak et la Jordanie, pour jouer deux rôles complexes dans le sud-est du pays. Elle est chargée de surveiller la frontière syrienne avec la Jordanie et une partie de la frontière irakienne, et de sécuriser les sites pétroliers dont le gouvernement syrien a annoncé la reprise, dans le cadre de l’accord qui rétablira le contrôle gouvernemental sur les zones contrôlées par l’Administration autonome.

Bien que les termes de l’accord signé entre Ahmad al-Charaa, président syrien de transition, et Mazloum Abdi, chef des FDS– dont la mise en œuvre doit prendre neuf mois – étaient vagues et imprécis à certains égards, les données, en particulier les déclarations qui ont suivi cet accord, parrainé par les États-Unis et auquel la France a participé, indiquent que la tendance générale vers la formation de l’État syrien s’oriente vers l’établissement d’un système de gouvernement décentralisé, à mi-chemin entre le gouvernement central existant et les tentatives de fédéralisation du pays.

Les accords actuellement en cours d’élaboration, s’ils aboutissent, permettraient de réunir la Syrie sous une seule bannière, sans la soumettre totalement au contrôle de Damas, comme l’a confirmé le Conseil démocratique syrien, le bras politique des FDS. L’accord entre Damas et les Kurdes permet au nouveau pouvoir en Syrie d’étendre son autorité sur le territoire et les ressources du nord-est, et aux Kurdes de conserver leurs forces dans le cadre de la future armée et de voir leurs droits nationaux enfin reconnus.

Signé lundi soir à Damas, l’accord sert les intérêts des deux parties dans le pays engagé dans une transition délicate, estiment des analystes. Quels sont les principaux points de cet accord en huit points, dont le mécanisme d’application doit encore décidé, et qui doit être appliqué d’ici la fin de l’année?

Le texte prévoit « l’intégration de toutes les institutions civiles et militaires du nord-est de la Syrie au sein de l’administration de l’Etat syrien, y compris les postes-frontières, l’aéroport ainsi que les champs pétroliers et gaziers ». L’administration autonome kurde, dont les FDS sont le bras armé, contrôle de vastes territoires dans le nord et l’est de la Syrie, riches en blé, pétrole et gaz.En revanche, le texte ne mentionne pas la dissolution des FDS, soutenues par les Etats-Unis, ou leur dissolution.De son côté, le pouvoir central reconnaît les Kurdes, marginalisés pendant des décennies, comme « une composante essentielle de l’Etat syrien », et garantit leurs « droits à la citoyenneté et l’ensemble de leurs droits constitutionnels ».

Des responsables kurdes, notamment le chef des FDS, ont considéré l’accord comme une « opportunité historique », et des manifestations de joie ont éclaté dans les zones kurdes. Selon Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie, la zone contrôlée par l’administration kurde comprend 90% des champs pétroliers de la Syrie et constitue son grenier à blé. La nouvelle armée syrienne gagne également un contingent kurde très organisé et entraîné avec lequel elle peut se coordonner face aux défis de sécurité. Le sort des prisons dirigées par les forces kurdes et abritant des milliers d’anciens terroristes n’est pas encore décidé. M. Abdi avait indiqué en février que les autorités de Damas voulaient les placer sous leur contrôle. Même si l’accord ne le dit pas explicitement, il semble que les Kurdes vont pouvoir conserver leur structure militaire, ce qui était l’une de leurs principales conditions. L’accord, signé sous parrainage des Etats-Unis et participation de la France, reconnaît les droits des Kurdes, qui sont la plus importante minorité ethnique en Syrie. Désormais, les Kurdes « ne peuvent plus être mis à l’écart dans l’édification de la future Syrie », selon des analystes. L’accord est intervenu près de deux semaines après un appel historique d’Abdullah Öcalan, leader du PKK, à la dissolution du parti et à l’abandon de la lutte armée.

L’accord est intervenu alors que des violences d’une ampleur inégalée depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre ont secoué l’ouest de la Syrie, faisant plus de 1.800 morts parmi les civils, en majorité des Alaouites, tués par les forces de sécurité et groupes alliés. Cette escalade a constitué un test pour A. al-Chareh, qui tente de consolider son pouvoir sur le territoire syrien.

Massacres sur le littoral

Un ex-diplomate syrien a été tué ce mercredi dans la province de Deraa, au sud de la Syrie, deux semaines après son retour. Selon les médias syriens, Noureddine al-Labbad et son frère ont été assassinés par des hommes armés qui ont ouvert le feu sur eux dans leur maison dans la ville al-Sanamine. Cette ville a été le théâtre d’affrontements entre des forces de sécurité et le groupe de Mohsen al-Hamid qui faisait partie des services de sécurité militaires de l’ancien régime.

Diplomate de carrière pendant l’ancien régime syrien ayant fait défection en 2013, Al-Labbad s’était réfugié en France où il était le représentant de la Coalition nationale. Il était revenu pour s’installer au pays depuis deux semaines.

Dans les régions côtières de l’ouest syrien où des massacres ont été perpétrés contre les civils alaouites, des chiffres non officiels et non définitifs rendent compte de 4000 martyrs, selon le journal libanais al-Akhbar, alors que l’Observatoire syrien des droits de l’homme parle de plus de 1383 tués. Des familles entières ont été décimées. Les massacres ont été accompagnés de pillages, de destruction et de mises à feu prémédités des biens. Des milliers de familles refusent de rentrer chez elles par crainte de nouveaux massacres. Les tueries ont été commises par des éléments qui appartiennent au service de Sécurité générale du nouveau pouvoir en place et par des factions jihadistes qui lui sont alliés, selon l’OSDH.

La commission d’enquête mise au point par le gouvernement suscite bien des doutes quant à son sérieux de parvenir à des conclusions objectives, d’autant qu’elle comprend des personnalités connus pour leurs positions extrémistes qui apostasient les musulmans non sunnites. L’une d’entre elles, Joumaa al-Dbeisi al-Aanzi, a publié des articles dans lesquels il qualifie les Alaouites d’apostats et leur destin est la Géhenne, selon al-Akhbar.

Mercredi, la défense civile en Syrie a indiqué que ses équipes ont évacué 26 dépouilles dont 9 dans la ville de Banias et 17 dans la province de Lattaquié. Interrogé sur les circonstances de ces tueries, Rami Abdel Rahman, directeur de l’OSDH, a confirmé qu’avant la campagne de carnage, des attaques avaient été perpétrées par des éléments du l’ex-régime déchu contre des check-points des ministères actuels de la Défense et de l’Intérieur. Mais d’après lui, le terrain était propice à ces attaques en raison de la répression dont a été victime la communauté alaouite depuis la chute du régime des Assad. Il décrit l’environnement qui a sévi avant ces attaques et les massacres qui les ont suivies, en énumérant : « une ségrégation communautaire, des persécutions, des révocations de la fonction publique, le fait de considérer chaque alaouite qu’il est le reste du régime déchu jusqu’à preuve du contraire, le vocabulaire communautaire qui s’est propagé à grande dimension dès le premier mois ».

Selon R. Abdel Rahmane, 24 mille fonctionnaires ont été démis de leur fonction dans la province de Lattaquié le mois passé ce qui en a découlé une véritable crise économique. Il a aussi rappelé que plus de 9.000 ex-militaires de l’armée syrienne sont toujours incarcérés après s’être rendus en échange de régler leur situation.

S’ajoutent des assassinats ciblés qui ont éliminé plus de 500 civils alaouites, d’après le patron de l’Observatoire selon lequel ils ont été perpétrées en toute impunité durant ces trois derniers mois. Il déplore des tentatives de certaines médias d’occulter ces infractions et de mettre l’accent sur les aspects positifs seulement du nouveau pouvoir en place. Il accuse le pouvoir en place d’avoir laissé faire volontairement ces assassinats.

« Directement après les attaques contre les check-points des deux ministères, les appels au jihad ont été lancés dans les mosquées du pays appelant à attaquer les civils alaouites », a aussi révélé le directeur de l’OSDH, indiquant que les autorités n’ont pris aucune mesure pour les empêcher.

Interrogé sur le sérieux d’A. al-Charaa) de mener à bien l’enquête afin de débusquer les auteurs des massacres, R. Abdel Rahman a assuré qu’il faut voir les actes et non se fier aux promesses. « Ce qui s’est passé contre les Alaouites est méthodique et non pas individuel », a-t-il taclé. L’OSDH a mis en garde contre l’enterrement des victimes dans des charniers « de crainte qu’ils ne soient exploités ultérieurement pour promouvoir des récits au service d’objectifs politiques et humanitaires, pour accuser les prétendus restes du régime de commettre des crimes de guerre. »

Sunnite ou alaouite?

Selon les récits de survivants, des témoignages recueillis par l’AFP et d’éléments collectés par des organisations de défense des droits humains, des hommes armés se sont livrés à une véritable frénésie de violence depuis le 6 mars contre des civils alaouites dans les localités côtières où cette minorité musulmane est concentrée.

« Dans un certain nombre de cas extrêmement troublants, des familles entières – y compris des femmes et des enfants – (…) ont été tuées », ont souligné mardi les Nations unies. L’ONU a indiqué avoir recueilli des témoignages selon lesquels les auteurs des massacres « ont effectué des descentes dans les maisons, demandant aux habitants s’ils étaient alaouites ou sunnites avant de les tuer ou de les épargner en fonction de leur réponse ».

Un témoin qui a requis l’anonymat a affirmé à l’AFP avoir vu un homme, son épouse et leurs deux enfants, être contraints de sortir de leur maison et alignés devant un mur avant d’être fusillés dans un village alaouite de la région de Lattaquié. Un habitant d’un quartier alaouite de la ville de Banias a raconté à l’AFP que des combattants avaient rassemblé tous les hommes de l’immeuble de son frère sur le toit avant de les exécuter.

Comments are closed.

Exit mobile version