Le rapport publié par les instituts de Kiel et Bruegel, à l’approche du sommet de l’OTAN des 25 et 26 juin, met en lumière l’urgence du réarmement européen. Ces instituts atlantistes s’inquiètent ainsi de la montée en puissance militaire de la Russie. Alors que Moscou produit 1 800 chars par an, les quatre grands pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Pologne) n’en fabriquent que 50. Ce déséquilibre se retrouve dans l’artillerie (672 contre 202) et les véhicules de combat d’infanterie (6 564 contre 214).

Pour inverser la tendance, les auteurs appellent à multiplier par trois à six la production de systèmes de défense terrestre et aérienne d’ici 2030 dans un contexte de faiblesse pour les Européens embourbés dans leur indécision de soutien à l’Ukraine.

En termes financiers, le budget défense russe surpasse largement les budgets combinés de la France, de l’Allemagne et de la Pologne. Les 800 milliards d’euros prévus par le plan « ReArm Europe » de l’UE risquent d’être insuffisants, avec des besoins estimés entre 50 et 200 milliards pour les chars et l’artillerie, et 200 à 300 milliards pour la défense aérienne. Les délais de livraison, souvent supérieurs à trois ans, compliquent davantage la tâche.

Le rapport souligne également la dépendance européenne aux États-Unis pour des équipements stratégiques comme les missiles longue portée ou les drones. Malgré une hausse des dépenses militaires européennes (326 milliards d’euros en 2024, soit 1,9 % du PIB de l’UE), les décennies de sous-investissement ont affaibli la base industrielle de défense.

Les auteurs restent toutefois « prudemment optimistes », estimant que les capacités technologiques européennes permettent d’atteindre ces objectifs, à condition d’orienter les investissements. Des initiatives comme le programme SAFE (150 milliards d’euros) et la réaffectation des fonds NextGenerationEU (334 milliards disponibles) visent à financer cette ambition. Cependant, la dépendance aux financements publics et les réticences persistantes des investisseurs privés, notamment pour les PME, freinent le développement. La levée des restrictions ESG et l’engagement accru des banques européennes, comme Deutsche Bank ou UniCredit, marquent un tournant.

Depuis Rome, Guido Crosetto, ministre italien de la Défense, a déclaré que l’OTAN « n’a plus de raisons d’exister » dans sa forme actuelle. Selon lui, le monde a changé, et l’alliance doit désormais nouer des relations avec le Sud global. Sans cette transformation, l’organisation ne pourra plus prétendre garantir la paix ni assurer la sécurité internationale.

Lors d’un événement public tenu à Padoue ce 20 juin, G. Crosetto, a affirmé que l’OTAN est désormais sans objectif clair et concret. Selon les propos rapportés par le journal Fatto Quotidiano, le ministre italien a déclaré que «l’OTAN n’a plus de raisons d’exister. Autrefois, le centre du monde était l’océan Atlantique; aujourd’hui, le monde entier est important.» Il a précisé que les États-Unis et l’Europe constituaient autrefois le noyau stratégique global, mais que ce rôle est désormais dépassé par l’émergence de nouvelles puissances et d’un rééquilibrage international. «Il faut construire des relations avec tout ce qui existe en dehors de ce cadre traditionnel», a-t-il ajouté, soulignant l’importance de nouer des liens concrets avec les régions du monde souvent ignorées par les puissances occidentales.

Le ministre estime que si l’OTAN souhaite réellement continuer à garantir la paix et la défense collective, elle doit impérativement devenir «une organisation fondamentalement différente» qui dialogue activement avec les pays du Sud global. Il avertit que sans ce changement, l’alliance n’aura plus de légitimité ni de rôle utile dans le système international.

Dans un autre extrait, le même responsable a souligné que l’Europe, autrefois influente, a perdu son importance sur la scène internationale : «Nous continuons à parler comme si nous étions encore dans les années 90, mais tout a changé.» Il a ajouté : «L’Europe, peut-être, comptait autrefois, mais son temps est révolu.»

Ces propos marquent une rupture claire avec le discours traditionnel des chancelleries occidentales, qui continuent d’agir comme si elles détenaient encore l’initiative stratégique mondiale. G. Crosetto a insisté sur l’idée que sans réforme, l’OTAN ne sera pas capable d’assurer la sécurité mondiale selon des règles applicables à tous. Pour lui, seule une transformation complète de l’organisation permettrait de remplir cette mission de manière équitable et réaliste, en tenant compte des nouveaux équilibres géopolitiques et du poids croissant du Sud global dans les affaires mondiales.

Les médias occidentaux ont rappelé les propos récents de Pete Hegseth, chef du Pentagone, affirmant le 5 juin que les pays membres de l’OTAN ne devaient pas s’appuyer uniquement sur les États-Unis pour leur sécurité. Ce commentaire reflète les tensions internes au sein même de l’alliance, notamment face au refus croissant de plusieurs États membres d’augmenter leurs contributions militaires. Plusieurs dirigeants européens contestent également la nouvelle exigence de porter les dépenses militaires à 5 % du PIB, un seuil promu par les États-Unis.

Pedro Sánchez, Premier ministre espagnol, a qualifié cette cible de «déraisonnable» dans un courrier adressé au secrétaire général de l’OTAN, rapporté le 19 juin. Il avertit que cet objectif, s’il était appliqué, risquerait d’être contre-productif pour l’Espagne. De son côté, Georges-Louis Bouchez, président du parti belge Mouvement réformateur, a dénoncé une «hystérie collective», jugeant que la Belgique ne faisait face à aucune menace réelle justifiant une telle hausse.

G. Crosetto a également qualifié la «coalition de volontaires» pour aider militairement l’Ukraine de «force seulement théorique», sans existence réelle sur le terrain, ce qui met en lumière l’écart entre les discours occidentaux et la réalité des rapports de force. Pour le ministre italien, cette absence de cohérence dans les actions démontre que l’OTAN n’est plus en mesure d’assurer efficacement ses propres ambitions, ni de répondre aux véritables besoins de sécurité globale.

Comments are closed.

Exit mobile version