Lors de la séance dédiée aux questions orales tenue mardi à la Chambre des conseillers, Noureddine Slik, président du groupe de l’UMT, a fait part de sa profonde consternation et sa « surprise » face au « décalage » du ministre par rapport à l’accord préalablement établi entre le président du gouvernement et les centrales syndicales, qui stipule clairement que le projet de loi relatif au droit de grève ne devrait être présenté à la commission concernée qu’après l’obtention d’un consensus des deux parties. Il a réaffirmé que « le président du gouvernement a engagé sa responsabilité en promettant aux syndicats que ce processus serait respecté », ce qui ne semble pas être le cas, d’où le retrait du groupe UMT de la séance en signe de protestation.
La tension reste vive autour dudit projet que l’Exécutif entend faire passer au forceps. Aux yeux des syndicats, l’Exécutif tente de sanctionner un droit fondamental inscrit dans la Constitution marocaine. Selon l’UMT, cette législation pourrait considérablement restreindre l’exercice du droit de grève, en instaurant des procédures administratives contraignantes et en pénalisant certaines formes de manifestations sociales. Voilà pourquoi les centrales réclament une législation alignée sur les conventions internationales, tout en garantissant le respect des libertés syndicales.
Les syndicats ont été échaudés par l’avis rendu par le Conseil national des droits de l’homme (CNDH), qui affirme que le principe du « salaire contre travail » est « non incompatible avec les libertés syndicales ». Principe jugé comme une grave atteinte à la liberté syndicale et une agression directe contre le droit de grève.
Au-delà de l’action symbolique de l’UMT, la Confédération démocratique du Travail (CDT) qui ne décolère pas sur le même dossier a saisi les présidents des groupes parlementaires en les alertant sur les faiblesses qui émaillent le projet de loi et en les exhortant à encourager le gouvernement à le renvoyer aux négociations sociales.
La CDT a informé les parlementaires que le projet enfreint les principes de l’Organisation internationale du travail (OIT), ses recommandations et ses déclarations ratifiées par tous les États membres. Le projet ne respecte pas non plus l’esprit de la convention internationale n°87 relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, que le Maroc n’a toujours pas ratifiée, bien qu’elle soit considérée comme obligatoire, car elle fait partie des conventions internationales fondamentales.
Pour la CDT, « le projet est contraire à la base de sa constitutionnalisation, qui repose sur la garantie de ce droit et sa légitimité historique, ainsi que sur le droit pour tous les citoyens de l’exercer. Il va également à l’encontre des missions constitutionnelles des syndicats ».
La Confédération a ajouté que « le projet n’inclut pas de préambule ou de note explicative définissant que le droit de faire grève est constitutionnellement garanti, consacré par la législation, les conventions et les traités internationaux ». Pis, il s’appuie sur des définitions et des concepts incomplets, utilisant un jargon éloigné des droits fondamentaux et des définitions de l’OIT, cherchant à restreindre ou à empêcher l’exercice de ce droit, à affaiblir le mouvement syndical et à laisser place à une large interprétation.
En outre, pour la CDT, le projet limite le droit de grève aux employés des secteurs public et privé, excluant de nombreuses catégories de la société, telles que les professionnels, les étudiants, les travailleurs indépendants et d’autres, ce qui contredit l’article 29 de la Constitution. Il restreint également l’exercice du droit de grève, réduisant ses domaines d’application à un point où il devient pratiquement sans effet, interdisant de manière explicite ou implicite de nombreuses formes de grève.
A cet effet, l’institution syndicale a, en outre, attiré l’attention sur le fait que le projet instaure une procédure complexe et dissuasive pour déclarer une grève, rendant la réalisation d’une grève légitime quasi impossible en raison de la procédure de notification. La Centrale a pointé du doigt le fait que le projet de loi implique des mesures d’intimidation, menaçant les travailleurs avec des sanctions pénales plus sévères et des compensations financières pour les pertes subies. Elle a précisé que ce projet favorise les employeurs en leur accordant le contrôle sur le pouvoir administratif et exécutif de l’entreprise, ainsi que sur les pouvoirs législatif et réglementaire, tout en maintenant leur autorité disciplinaire. Le projet ouvre également la voie à l’intervention des pouvoirs publics dans l’exercice du droit de grève, notamment en suspendant les grèves dans les services essentiels.
Parmi les autres dysfonctionnements soulignés, le projet étend de manière injustifiée les catégories et secteurs privés du droit de grève, interdit aux grévistes d’occuper les lieux de travail pendant la durée de la grève, et d’autres restrictions similaires. La CDT a, de surcroît, informé les chefs des groupes parlementaires qu’il n’y « avait eu aucun consensus sur le projet de loi organique relatif au droit de grève, et que le gouvernement n’avait pas respecté ses engagements inclus dans l’accord social, ce qui va à l’encontre du slogan de l’État social et contredit le discours sur l’importance du dialogue social”. Le gouvernement a également ignoré les avis du Conseil économique, social et environnemental ainsi que du Conseil national des droits de l’Homme.