Citant deux sources syriennes, Reuters a rapporté que les nouveaux dirigeants du pays ont eu recruté des combattants étrangers dans les forces armées, notamment des membres des Ouïghours, de la Jordanie et de la Turquie. Les deux sources ont indiqué que sur un total de « 50 rôles militaires » annoncés dimanche par le ministère de la Défense, au moins « six rôles » ont été attribués à des étrangers. Selon l’agence, « cette mesure  vise à accorder des fonctions officielles, y compris des fonctions de haut niveau, à un certain nombre de combattants, mais elle pourrait susciter des inquiétudes parmi les gouvernements étrangers et parmi les citoyens syriens, qui craignent les intentions de la nouvelle administration, malgré ses engagements de ne pas exporter la révolution et de faire preuve de tolérance envers les minorités en Syrie ».

Les nouveaux dirigeants syriens, qui appartiennent principalement à Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), ont indiqué que les combattants étrangers et leurs familles pourraient obtenir la citoyenneté syrienne et être autorisés à rester dans le pays. Des milliers d’étrangers ont rejoint les combattants de l’opposition syrienne au début de la guerre, qui a éclaté il y a 13 ans.

Dimanche, le ministère syrien de la Défense a annoncé la nomination de 49 officiers dans l’armée, dont des dirigeants des principales factions armées syriennes. Une source militaire syrienne a déclaré à Reuters que « parmi eux se trouvent plusieurs combattants étrangers, dont trois ont obtenu le grade de général de brigade et au moins trois autres le grade de colonel ».

Les combats qui se poursuivent dans le nord de la Syrie entre des groupes soutenus par la Turquie et les forces dominées par les Kurdes ont fait depuis dimanche 31 morts, des combattants des deux bords, a indiqué lundi une ONG. Fin novembre, des factions syriennes pro-turques ont lancé une offensive contre les Forces démocratiques syriennes (FDS, dominées par les Kurdes) dans le nord du pays.

Ces combats ont été déclenchés parallèlement à une offensive fulgurante lancée depuis le nord-est par une coalition de rebelles, dominée par des islamistes radicaux, qui leur a permis d’arriver à Damas et de prendre le pouvoir.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basé au Royaume-Uni, 7 combattants pro-turcs ont été tués lors de violents combats lundi dans la région de à Manbij (nord-est). Des combattants des FDS se sont infiltrés dans la ville reprise par les forces soutenues par Ankara début décembre, a précisé l’ONG, selon laquelle six autres combattants pro-turcs et trois membres des FDS avaient été tués la veille dans ce secteur.

Des combats ont également eu lieu dans la province de Raqqa après une attaque à l’artillerie lourde et aux mitrailleuses lancée par les forces turques et leurs alliés syriens contre un village Trawziyeh au sud de la localité Slok. L’OSDH a aussi rendu compte d’une infiltration d’une force des FDS  dans des positions des factions pro-turques dans le village Rayhanah dans la province de Hassaké. 5 combattants de ces factions auraient été tués et 7 autres blessés. Les FDS ont aussi opéré une infiltration dans des positions dans la province de Ral al-Aïn.

Les FDS ont annoncé lundi avoir mené des attaques qui leur ont permis de « détruire deux radars, un système de brouillage et un char de l’occupation turque » près de ce pont. Dimanche, 13 combattants de factions pro-turques et deux membres des FDS ont été tués dans des « combats acharnés » dans la province d’Alep, près du barrage de Techrine et d’un pont stratégique enjambant l’Euphrate, selon la même source.

Les Unités de protection du peuple kurde (YPG), épine dorsale des FDS soutenues par les Etats-Unis, sont considérées comme une extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), sa bête noire.

Le nouveau dirigeant syrien, Ahmad al-Charaa, a affirmé dimanche que les FDS devraient être intégrées à la future armée syrienne, lors d’une interview à la chaîne Al-Arabiya. « Les armes doivent être uniquement aux mains de l’Etat. Quiconque était armé et a les capacités de rejoindre le ministère de la Défense sera le bienvenu », a-t-il déclaré, assurant que c’est sur « ces conditions et ces critères » que des « négociations » seront menées avec les FDS, « dans l’espoir de trouver une solution appropriée ».

La décision du nouveau dirigeant de la Syrie de prolonger le délai pour la prochaine élection présidentielle ainsi que les récentes désignations et promotions dans la nouvelle armée ont attisé les craintes quant à sa monopolisation du pouvoir.

Les nouveaux délais de 4 ans pour la présidentielle et de 3 ans pour la rédaction de la constitution contredisent les premières déclarations d’A. Charaa au lendemain de la prise du pouvoir à Damas lorsqu’il avait fixé à trois mois le mandat du gouvernement provisoire qu’il a désigné. A. Charaa les a expliqués par la volonté de préparer le terrain en menant d’abord un recensement de la population syrienne.

Des experts appréhendent que cette décision n’illustre sa volonté de renforcer son pouvoir politique et administratif en Syrie.

Zaki al-Droubi, membre du bureau politique du parti syrien de la gauche démocratique constate que A. Charaa lance dans ses déclarations officielles « des propos édulcorés », qui laissent entendre qu’il aspire à une participation inclusive au pouvoir, mais « ses actions montrent qu’il exécute un plan qui lui permet de s’accaparer le pouvoir ».

Depuis sa prise du pouvoir, explique Z. al-Droubi pour le site Erem News, il s’est accaparé la désignation des ministres, des gouverneurs des provinces, nommant ses proches, sans aucune participation des autres composantes politiques syriennes. De même pour la restructuration de l’armée en intégrant les factions qui faisaient partie de sa coalition HTC.

Dimanche soir, un décret signé par « le commandant général Ahmad al-Charaa », a ordonné la première promotion dans les rangs de commandants qui ont été désignés au commandement de la nouvelle armée. Le nouveau pouvoir, issu d’une coalition dirigée par des islamistes radicaux, avait dévoilé la semaine dernière un accord avec « tous les groupes armés » pour leur dissolution, et leur « intégration sous la tutelle du ministère de la Défense ». La décision prévoit d’accorder à cinq personnalités le grade de général de brigade et à 42 autres celui de colonel. Cette promotion est « fondée sur l’intérêt national suprême, et dans le cadre du lancement du processus de développement et de modernisation de l’armée et des forces armées », d’après le communiqué. Ont été promu entre autres au grade de général de brigade Morhef Abou Qasra, pressenti au ministère de la Défense dans le gouvernement provisoire et Ali Noureddine al-Naasane. Abou Qasra originaire de la ville de Halfaya, du gouvernorat de Hama occupait le poste de commandant général de la branche militaire de HTC. Al-Naasane occupait celui de son chef d’état-major.

« La majorité de ces promotions concernent des personnalités du cercle rapproché d’Ahmad Al-Charaa », a indiqué à l’AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH. Cette dernière a identifié au moins « six jihadistes étrangers » dans la liste, notamment un Albanais, un Jordanien, un Tadjik, un Ouïghour du Turkestan, mais aussi un Turc issu de HTC. Le Ouïghour est issu du Parti islamique du Turkestan (TIP), groupuscule jihadiste implanté à Idleb, bastion rebelle de Syrie d’où est partie l’offensive qui a mené à la chute d’Assad, a précisé à l’AFP R. Abdel Rahmane.

Selon Z. Al-Droubi, il existe de plus en plus d’indicateurs montrant le désir d’al-Jolani de monopoliser le pouvoir, tout en essayant de contourner les demandes du peuple concernant la tenue d’une conférence nationale qui réalise ses ambitions et ses intérêts et ceux de ceux qui l’accompagnent, ce qui illustre selon lui qu’il agit de la même manière que le régime déchu d’Assad.

Selon Mustafa Amin, chercheur spécialisé dans les affaires des groupes fondamentalistes et extrémistes, le changement du discours d’al-Jolani sur la durée de la période de transition et la préparation de la constitution jusqu’à la tenue des élections, de 3 mois à 4 ans, est « prévisible ». Il a dit s’attendre à d’autres déclarations similaires dans lesquelles il contredira d’autres de ses déclarations, étant donné qu’il est un « pragmatique ». « La nature de sa transition de Daech (EI), puis son départ d’Al-Qaïda après en avoir été un membre actif, puis en s’exprimant dans un langage et d’une manière modérée et en « paraissant modéré » comme dans la forme actuelle, confirme sa possession d’un pragmatisme clair dans la gestion des affaires, sur le terrain, nous le voyons avec son groupe, ils vont vers le contrôle des articulations du pays », précise-t-il.

Les nouvelles autorités de Damas ont désigné une femme à la tête de la Banque centrale syrienne, ont rapporté des médias syriens. Maysaa Sabrine, première vice-gouverneur de Mohamad Issam Hazimeh désigné par l’ex-président syrien, est la première femme qui occupe le poste de gouverneur. Titulaire d’une maîtrise en comptabilité de l’Université de Damas, elle occupait le poste de directeur de la direction des commissions gouvernementales à la Banque centrale depuis octobre 2018. Elle était aussi membre du conseil d’administration du marché de Damas pour les titres financiers.

Cette désignation intervient au lendemain du tollé soulevé sur les réseaux sociaux par les propos de Aicha al-Debs, cheffe du Bureau des affaires de la Femme au sein des nouvelles autorités syriennes. Interrogée cette semaine par la télévision turque TRT sur « l’espace » qui sera donné aux associations féministes, elle a expliqué que si l’action de ces organisations « soutenait le modèle que nous allons construire, alors elles seraient les bienvenues : je ne vais pas ouvrir le passage à quiconque n’est pas d’accord avec ma pensée ». « Pourquoi adopter un modèle laïc ou civil ? Nous allons mettre en place un modèle propre à la société syrienne et c’est la femme syrienne qui va le réaliser », avait entonné A. al-Debs.

A signaler aussi que le nouveau ministre syrien des Affaires étrangères, Esaad Hassan Sheiban a annoncé, lundi, que sa première visite officielle se ferait en Arabie saoudite. Il a indiqué avoir accepté l’invitation de son homologue saoudien, le prince Faisal bin Farhan, à se rendre dans le royaume. « Je serai honoré de représenter mon pays lors de ma première visite officielle en Arabie saoudite. Nous sommes impatients d’établir des relations stratégiques avec nos frères du royaume dans tous les domaines », a écrit E. Hassan Sheibani dans un communiqué publié sur son compte X.

En outre, lors d’une conférence de presse avec son homologue koweïtien Abdullah Ali Al-Yahya, E.Hassan Sheibani a précisé que sa visite en Arabie saoudite aurait lieu au cours de la « première semaine de la nouvelle année ». Il a décrit cette visite comme un geste de bonne volonté et un pas vers le rétablissement du rôle de la Syrie dans le monde arabe. Il a ajouté qu’il entendait écouter les points de vue saoudiens et accélérer les efforts de reconstruction de son pays.

E.Hassan Sheibani a été nommé ministre des Affaires étrangères le 21 décembre par le gouvernement intérimaire syrien, devenant ainsi le premier chef de diplomate du pays depuis la chute du régime de Bachar al-Assad.

Comments are closed.

Exit mobile version