C’est dans ce chaudron que des diplomates américains sont arrivés, vendredi 20 décembre, en Syrie pour rencontrer les nouvelles autorités, dominées par le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Dans leurs bagages, un cadeau qui en dit long sur l’implication de l’Oncle Sam dans la déconfiture de la situation : Washington a décidé de ne plus offrir de récompense pour Ahmad al-Chareh, de son nom de guerre Abou Mohammad al-Jolani, après avoir reçu des « messages positifs » de sa part, notamment une promesse de combattre le terrorisme, a déclaré une responsable du département d’État. « Sur la base de notre discussion, je lui ai dit que nous abandonnions l’offre de récompense (…) en vigueur depuis quelques années », a dit Barbara Leaf aux journalistes à l’issue d’une rencontre à Damas.

Après avoir rencontré al-Jolani, classé comme terroriste par plusieurs pays dont les Etats-Unis les émissaires américains doivent aussi rencontrer à Damas, des représentants de la société civile pour discuter « de leur vision de l’avenir de leur pays et de la manière dont les Etats-Unis peuvent les soutenir », selon le département d’Etat. Cette délégation, première mission diplomatique formelle dépêchée par les Etats-Unis à Damas depuis le début de la guerre, comprend notamment Roger Carstens, chargé de collecter des indices sur les Américains portés disparus en Syrie comme le journaliste Austin Tice, arrêté en août 2012.

Les Etats-Unis prennent ainsi la suite de la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’ONU qui ont déjà envoyé des émissaires à Damas.

Ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda, HTC dit avoir rompu avec le terrorisme et cherche à rassurer, à l’heure où le pays exsangue a besoin de toute urgence d’une aide humanitaire « massive », selon l’ONU.

Les Américains avaient annoncé jeudi avoir doublé ces derniers mois le nombre de leurs effectifs militaires dans le pays sous prétexte de lutte contre Daech, les portant à environ 2.000 personnes. Washington soutient les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes, qui contrôlent les zones semi-autonomes du nord de la Syrie. La situation reste particulièrement volatile dans cette partie du pays, où des combats opposent des groupes soutenus par la Turquie à des combattants kurdes soutenus par Washington. Deux journalistes turcs ont été tués dans le nord de la Syrie où ils couvraient ces combats, ont annoncé vendredi une association de journalistes turcs et une ONG. La Turquie qui prépare une nouvelle offensive contre FDS a démenti les déclarations des Etats-Unis sur la prolongation de le trêve qu’ils avaient parrainé pour la ville de Manbij. « Il est inadmissible que nous nous entendions avec une organisation terroriste, il n’y a aucun cessez-le feu entre Ankara et les FDS au nord de la Syrie », a déclaré Zaki Akturk, conseiller médiatique du ministre turc de la Défense selon la chaine turque TRT.

Mercredi, le porte-parole du département d’état américain avait affirmé que Washington, principal soutien aux FDS qui a parrainé un cessez-le-feu à Manbej la semaine passée voudrait qu’il soit prolongé le plus longtemps possible.

Selon le responsable turc, les déclarations américaines sur la prolongation de la trêve sont « un lapsus ». « Le nouveau gouvernement syrien actuel, son armée et les factions armées que la Turquie soutient libèreront cette région occupée par les éléments des Unités de protection du peuple », bras armé du PKK, classé par Ankara dans la liste des organisations terroristes et dont sont issues les FDS.

A. al-Chareh avait affirmé mercredi que les nouvelles autorités voulaient étendre leur autorité sur les zones kurdes. Z. Akturk a assuré que son pays poursuivra ses préparatifs jusqu’à que ce ces éléments rendent les armes et les combattants étrangers s’en aillent.

Les FDS qui ont assuré vouloir présenter une initiative afin d’apaiser les craintes sécuritaires d’Ankara ont proposé de créer une zone démilitarisée à Ain al-Arab (Kobané). Elles ont toutefois exhorté les habitants de Kobané à « participer activement à la résistance et à prendre les armes contre l’occupation » alors que les forces turques et la milice de l’Armée nationale syrienne sont en état d’alerte maximale pour attaquer cette ville contrôlée par les FDS. Selon l’AFP, des milliers de personnes ont manifesté jeudi dans la ville de Qamichli dans le nord-est de la Syrie en soutien aux forces kurdes.

Selon l’Agence syrienne officielle, le gouvernement transitoire a envoyé « des éléments de la police militaire pour établir la sécurité dans la ville de Deir Ez-Zor », d’où les FDS avaient été délogées par HTC et se sont dirigées vers l’est de l’Euphrate.

Dans le gouvernorat d’Alep, une fronde au pouvoir en place à Damas semble se manifester. La milice al-Jabhat al-Islmiya a refusé la décision du chef du Conseil de l’administration militaire de dissoudre les milices armées et de les joindre à l’armée. « Nous n’allons pas nous dissoudre et nous ne rendrons en aucun cas nos armes ni ne renoncerons aux régions que nous contrôlons quelque soient les circonstances », a déclaré ce front qui regroupe plusieurs milices, à savoir les Brigades Noureddine al-Zenqi, l’Armée des Moudjahidines, Fastaqim Kama Omirt, le Front pour l’authenticité et le développement, Les Aigles de Sham, le Mouvement Hazm, et des centaines d’autres groupuscules. Leurs militants se comptent par plusieurs milliers.

Ledit front a qualifié la prise du pouvoir par HTC « de coup d’état militaire et de monopolisation du pouvoir par un groupe qui est encore classé comme terroriste ». Avant de lancer une mise en garde : « S’ils veulent la guerre, nous sommes prêts, qu’ils se préparent ».

Dans la capitale Damas, des centaines de personnes ont manifesté jeudi pour la démocratie et les droits des femmes. « Nous voulons la démocratie, pas un Etat religieux », « La Syrie, Etat libre et séculier », scandaient les manifestants, hommes et femmes, rassemblés sur l’emblématique place des Omeyyades, ont constaté des journalistes de l’AFP. « Pas de nation libre sans femmes libres », affirmait une pancarte. Cette poussée de fièvre qui pourrait générer d’autres intervient dans le sillage des propos tenus par le porte-parole de l’Administration politique affiliée à l’Administration des opérations militaires conduite par HTC sur le statut de la femme avaient soulevé des inquiétudes. « La nature biologique et psychologique de la femme n’est pas conforme avec toutes les fonctions de l’Etat à l’instar du ministère de la Défense par exemple », a déclaré Obeïda Arnaout lundi dans une interview avec la télévision libanaise New Tv. « Il est trop tôt de parler de son travail dans le domaine de la justice. Ceci sera débattu par des experts et des juristes en constitution qui œuvrent pour réviser la forme de l’Etat nouveau et les déterminants qui seront considérés pour le travail de la femme et la nécessité que les missions qui lui soient confiées concordent avec sa nature biologique ». L’élaboration de la constitution qui devrait être finalisée d’ici le mois de mars inquiète les milieux de l’opposition laïque qui craignent qu’elle ne soit monopolisée par HTC.

Un opposant de la Coalition qui a confié cette préoccupation pour le quotidien libanais al-Akhbar constate que le gouvernement transitoire actuel transgresse sa mission qu’il s’était fixé de conduire les affaires courantes seulement. « Jolani tente de persuader les Etats qui sont en contact avec lui que l’élaboration de la constitution rendra la Syrie un Etat unifié basé sur un pouvoir central avec des prérogatives plus larges pour les conservateurs, faisant craindre l’établissement d’un régime qui ressemble au précédent, en termes de contrôle des ressources de l’État et de sa vie politique et éducative, ainsi que de la crainte d’une islamisation du pays », a-t-il appréhendé.

Selon al-Akhbar, des factions armées druzes s’activent pour prendre le contrôle du gouvernorat de Souweida, sous l’égide du chef spirituel de cette communauté, Cheikh Hekmat al-Hajeri, qui leur a accordé son soutien après un appel téléphonique de son homologue en Israël cheikh Mwafaq Taraf. Elles auraient obtenu aussi des garanties de la part des officiers américains stationnés dans la base d’al-Tanf qu’ils ont sommé HTC de ne pas avancer en direction de leur gouvernorat. Ces divergences qui font craindre la division de la Syrie s’accélèrent alors qu’Israël continue d’étendre sa présence dans ce pays. Depuis qu’il a lancé son offensive aérienne et terrestre, pas moins de 500 km2 du sud syrien sont désormais sous la kippa israélienne.

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