La police kényane a tiré des balles en caoutchouc pour disperser des manifestants qui se rassemblaient dans le centre de la capitale Nairobi. Un peu plus tôt, ce jeudi matin, les forces de l’ordre avaient tiré des gaz lacrymogènes pour disperser des groupes de manifestants, deux jours après un rassemblement au cœur de la capitale contre une loi de finances, brutalement réprimé avec 22 morts selon l’organe kényan de protection des droits humains.

Autant dire que l’appel au calme reste précaire. W. Ruto l’a dit lui-même : « Je dirige un gouvernement, mais je gouverne aussi un peuple. Et le peuple a parlé. » Le président ne signera donc pas la loi.  « Après avoir écouté attentivement le peuple kényan, qui a dit haut et fort qu’il ne voulait rien avoir à faire avec ce projet de loi de finances 2024, je m’incline et je ne promulguerai pas le projet de loi de finances 2024, qui sera par conséquent retiré », a déclaré le chef de l’Etat dans un discours au lendemain d’une journée de manifestation contre le texte. « Après l’adoption du projet de loi, le pays a été témoin d’une large expression de mécontentement à l’égard du projet de loi tel qu’il a été adopté, qui a malheureusement entraîné des pertes de vies humaines et des destructions de biens », a-t-il ajouté.

Le président a appelé à une concertation nationale. « Puisque nous nous sommes débarrassés du projet de loi de finances 2024, il est nécessaire d’avoir une conversation en tant que nation à l’avenir. (…) Comment gérer ensemble notre situation d’endettement ? (…) Je proposerai un engagement avec les jeunes de notre nation, nos fils et nos filles », a-t-il affirmé.

Pour compenser le manque à gagner, car cette loi de finances devait rapporter 345 milliards de shillings en plus dans les caisses de l’État, que l’année précédente, W. Ruto propose des mesures d’austérité. Et il sera le premier à se serrer la ceinture, promet-il, puisque la présidence montrera l’exemple. Les frais de travail, de transport, d’hébergement, de rénovation, notamment, seront revus à la baisse. C’était aussi une revendication des manifestants qui refusaient de payer plus d’impôts pour financer des élites politiques qu’ils jugent corrompues.

Enfin, W. Ruto a invité la jeunesse à la discussion. « Puisque nous nous sommes débarrassés du projet de loi de finances 2024, il est nécessaire d’avoir une conversation en tant que nation à l’avenir. (…) Comment gérer ensemble notre situation d’endettement ? (…) Je proposerai un engagement avec les jeunes de notre nation, nos fils et nos filles », a-t-il affirmé.

Plus largement, le chef de l’État promet d’organiser un dialogue avec les forces vives de la nation : société civile, religieux ou encore syndicats. L’initiative est accueillie avec une certaine circonspection sur les réseaux sociaux, principal forum des manifestants. Ils n’oublient pas que la veille, le président les qualifiait de « criminels », justifiant une répression policière meurtrière.

Hanifa Adan, figure du mouvement de contestation antigouvernementale au Kenya, a qualifié « d’opération de com » l’annonce par le président du retrait du projet de budget. « Le projet de loi est retiré, mais allez-vous ramener vivants tous ceux qui sont morts ? », a affirmé sur X cette journaliste et militante.

Le vote du texte mardi par le Parlement, où le parti présidentiel Kenya Kwanza est majoritaire, a déclenché la colère des manifestants réunis non loin, à Nairobi, dans le cadre d’une troisième journée de contestation du texte en huit jours.

La foule avait pris d’assaut le parlement, saccageant et incendiant certains bâtiments, dans une attaque inédite dans l’histoire du pays indépendant depuis 1963. Selon plusieurs ONG, la police a tiré à balles réelles sur la foule. Nairobi et plusieurs villes ont également été le théâtre de pillages. Des bâtiments ont été incendiés à Eldoret, dans la vallée du Rift, fief du président.

De leur côté, les États-Unis appellent à la « retenue » et avertissent que le droit de manifester « doit être respecté » au Kenya, a dit mercredi un porte-parole de la Maison-Blanche après la mort de plusieurs manifestants à Nairobi. « Les États-Unis ont été en contact avec le gouvernement kényan pour appeler à un usage adapté de la force par la police », et « condamnent la violence (…) contre des manifestants innocents et pacifiques », a ajouté John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.

Le président américain Joe Biden considère le Kenya comme un allié stratégique sur un continent africain où les deux grandes rivales des États-Unis, la Chine et la Russie, avancent leurs pions chacune à sa façon. Il avait d’ailleurs reçu le président kényan fin mai pour une visite d’État, la première depuis 2008 pour un dirigeant africain et une marque de faveur diplomatique rare. J. Biden avait à cette occasion loué les « valeurs démocratiques partagées » des deux pays.

« Quand la police ou les forces de sécurité font un usage meurtrier de la force, nous voulons que des enquêtes soient menées pour établir clairement les responsabilités. Et nous ne doutons pas que le système judiciaire kényan y parviendra », a déclaré Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations unies. Dans un message sur X, António Guterres « demande aux autorités kényanes de faire preuve de retenue et appelle à des manifestations pacifiques ».

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