Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères, a déclaré samedi 23 novembre à la BBC que l’Ukraine pourrait tirer des missiles français à longue portée sur la Russie « dans une logique de légitime défense », mais n’a pas confirmé si des armes françaises avaient déjà été utilisées. « Le principe a été posé… Nos messages au président Zelensky ont été bien reçus », a-t-il affirmé. Il n’y a pas de « lignes rouges » en matière de soutien à l’Ukraine, a notamment déclaré le chef de la diplomatie française.
Les propos du ministre français sur l’autorisation de frapper la Russie avec des missiles à longue portée « ne constituent pas un soutien à l’Ukraine, mais plutôt un coup de grâce » qui achèvera Kiev, a commenté Maria Zakharova, porte-parole de la diplomatie russe, auprès de l’agence de presse TASS. Plus tôt cette année, le président Emmanuel Macron avait indiqué que la France était prête à autoriser le tir de missiles vers la Russie. Mais les commentaires de J.-N. Barrot sont significatifs, puisqu’ils interviennent quelques jours après que des missiles à longue portée américains et britanniques ont été utilisés de cette manière pour la première fois. Le ministre, qui s’est entretenu le 22 novembre à Londres avec son homologue britannique David Lammy, a déclaré que les alliés occidentaux ne devraient pas fixer de limites au soutien à l’Ukraine contre la Russie et « ne pas fixer et exprimer de lignes rouges ». Interrogé pour savoir si cela pourrait même signifier des troupes françaises au combat, il a répondu : « Nous n’écartons aucune option. » « Nous soutiendrons l’Ukraine aussi intensément et aussi longtemps que nécessaire. Pourquoi ? Parce que c’est notre sécurité qui est en jeu. Chaque fois que l’armée russe avance d’un kilomètre carré, la menace se rapproche d’un kilomètre carré de l’Europe », a-t-il déclaré. J-N. Barrot a laissé entendre qu’il serait possible d’inviter l’Ukraine à rejoindre l’OTAN, comme le président Zelensky l’a demandé. « Nous sommes ouverts à une invitation, et donc dans nos discussions avec nos amis et alliés, ainsi qu’avec les amis et alliés de l’Ukraine, nous travaillons à les rapprocher de nos positions », a-t-il déclaré. Il a également suggéré que les pays occidentaux devraient augmenter leurs dépenses en matière de défense : « Bien sûr, nous devrons dépenser davantage si nous voulons faire plus, et je pense que nous devons faire face à ces nouveaux défis. »
Les commentaires de J-N. Barrot interviennent après une semaine d’escalade significative en Ukraine, avec des missiles à longue portée britanniques et américains tirés sur la Russie pour la première fois. En guise de réponse, les Russes ont tiré sur l’Ukraine un missile balistique hypersonique Orechnik et Vladimir Poutine a mis en garde l’Occident contre la possibilité d’une guerre mondiale. Le président russe avait en effet prononcé le 21 novembre au soir un discours télévisé depuis le Kremlin, décrivant la réponse de Moscou aux récentes escalades du conflit en Ukraine. V. Poutine a révélé que la Russie avait déployé un nouveau système de missiles hypersoniques lors d’une frappe sur le territoire ukrainien. Le dirigeant russe a critiqué les États-Unis pour l’escalade des tensions tout en accusant Washington d’avoir donné au conflit une nature mondiale. « Ce conflit régional provoqué par l’Occident a désormais acquis des dimensions mondiales », a-t-il notamment déclaré.
Le discours de V. Poutine intervient après les récentes frappes ukrainiennes à l’intérieur des frontières russes d’avant 2014, avec des missiles à longue portée de fabrication occidentale, qui marquent une escalade significative du conflit. Ses commentaires reflètent les tensions croissantes entre la Russie et les pays de l’OTAN et signalent les dangers d’un glissement potentiel vers une confrontation plus large. Malgré ses propos durs, le maitre du Kremlin a réitéré que la Russie restait ouverte aux négociations, mais a mis en garde contre des représailles décisives en cas d’escalade de l’agression occidentale.
La Suisse pas si neutre…
Sur ces entre-faits, la chaîne de télévision SRF Investigativ vient de dévoiler que la Suisse n’observe de neutralité dans le conflit ukrainien. Plus de 640 000 munitions fabriquées en Suisse ont été livrées à l’Ukraine via la Pologne, en violation de l’interdiction faite par ce pays de réexporter ce type de matériel vers des zones de conflit, conformément à sa neutralité, a révélé la télévision suisse. L’autorité suisse de contrôle des armements a sanctionné une entreprise polonaise, « UMO SP », qui a enfreint un accord établi avec le fabricant « Swiss P Defence ». C’est la première fois qu’une entreprise étrangère d’armement est inscrite sur une « liste noire » suisse pour violation de contrat, suite aux investigations menées par SRF Investigativ. À la suite d’une requête de ce média, le secrétariat d’État suisse à l’économie (Seco), qui supervise les exportations de matériel militaire, a annoncé : « Nous confirmons que les exportations vers la société polonaise en question sont suspendues jusqu’à nouvel avis. »
Pourquoi le droit suisse est-il bafoué du fait que l’Ukraine a reçu des armes suisses ? Le 10 juillet 2023, Swiss P Defence a expédié 145 000 cartouches de munitions de sniper de calibre 0.338 et 500 000 cartouches de calibre 0.308 à la société polonaise UMO SP. Quatre jours plus tard, UMO SP a réexpédié ces munitions de Pologne en Ukraine. Or, cette transaction viole l’embargo sur les armements et, de manière générale, le principe suisse de ne pas soutenir les livraisons d’armes à des États en guerre. Le rapport d’inspection a révélé que les contrôleurs avaient identifié les deux envois de munitions à UMO SP précédemment approuvés par le Seco. Ils se sont également interrogés sur la connaissance par l’entreprise suisse Swiss P Defence de la revente en Ukraine. Car « si l’entreprise suisse avait eu connaissance d’une revente/réexportation en Ukraine, cela constituerait une violation » de la loi suisse, selon le rapport d’inspection. « L’examen n’a révélé aucun indice que Swiss P Defence avait exporté les munitions en sachant qu’elles seraient ensuite réexportées en Ukraine », ont assuré les contrôleurs du Seco après avoir étudié les documents. En juin 2024, la Commission de sécurité du Conseil national suisse s’est déclarée favorable à la levée de l’interdiction de réexporter des armes de fabrication suisse vers des pays tiers impliqués dans des conflits armés, sous certaines conditions. Cette question sera examinée par les deux chambres du Parlement, le Conseil national et le Conseil des cantons. Néanmoins, un référendum national est également possible, étant donné que la plus grande force politique de Suisse, le Parti populaire suisse, représentée par deux ministres dans le gouvernement de coalition quadripartite, est en faveur de l’adhésion stricte de la Suisse à la neutralité.